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LES COMÉDIES DE L’AMOUR.

hison certaine. Le roi commande à Biron de lui lire ce grave monument. Biron prend la lettre et pâlit : « C’est une niaiserie, une niaiserie ; que Votre Majesté ne s’inquiète pas. » Et, en balbutiant ces mots, Biron déchire le papier. Mais tous ont remarqué son trouble extraordinaire. Du Maine, véritable enfant terrible, ramasse les morceaux épars : « C’est l’écriture de Biron et voici son nom. » Hélas ! Du Maine a dit vrai. La lettre en question n’est autre que le premier sonnet inspiré par Rosaline à Biron. Cet imbécile de Trogne a fait une méprise. Chargé d’un double message, il a porté à Rosaline la déclaration d’amour qu’Armado destinait à Jacquinette, et il a remis à Jacquinette le madrigal que Biron dédiait à Rosaline. Jacquinette, ne sachant pas lire, est allée consulter M. le curé, qui sur-le-champ l’a renvoyée à Monseigneur le roi. Et voilà comment l’amant de Rosaline a été trahi. Devant l’accablante évidence, Biron n’a plus qu’à se résigner ; il prend le bon parti et avoue sa faute : « Je suis coupable, Sire, je suis coupable ! »

Le roi a perdu tout droit d’être sévère. Il ne peut plus punir chez autrui le doux crime qu’il a commis lui-même. Plus heureux que les courtisans de la reine Élisabeth, les familiers du roi de Navarre peuvent aimer impunément. Biron peut épouser Rosaline, Longueville peut épouser Maria, Du Maine peut épouser Catherine, sans craindre l’exil ou la prison. Leur maître les absout d’avance en demandant humblement la main de la princesse de France. Sa Majesté se hâte de décréter une amnistie générale dont elle a besoin la première, et Biron se charge d’improviser les considérants du décret : « Chers seigneurs, chers amants, oh ! embrassons-nous. Nous sommes ce que peuvent être la chair et le sang. Il faut que la mer ait son flux et son reflux et que le ciel montre sa face. Le sang jeune ne saurait obéir aux prescriptions