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SONNETS.

jusqu’au jour où l’une et l’autre livreront à la rature de l’oubli sa part de toi, ton souvenir ne peut se perdre.

Ce pauvre registre que je te donne ne peut en tenir autant que celui de mon âme, et je n’ai pas besoin de memento pour faire le bilan de ta chère amitié. Je serais bien imprudent de l’extraire de moi, pour le confier en double à ces tablettes.

Avoir un auxiliaire pour me souvenir de toi, ce serait admettre que je puis t’oublier.

LXXX

Non, tu ne te vanteras pas de me faire changer, ô Temps ! Tes pyramides, reconstruites sur de nouvelles assises, n’ont pour moi rien de surprenant, rien d’extraordinaire : elles ne sont que les revêtements d’une matière antérieure.

Notre destinée est brève, et c’est ce qui fait que nous admirons ces choses que tu nous donnes comme antiques ; et nous les croirions faites tout exprès pour nous, plutôt que de nous rappeler qu’elles étaient connues auparavant.

Je fais fi de toi et de tes registres, et je ne m’étonne ni de ton présent ni de ton passé. Je ne vois que mensonge dans ces monuments que tu défais et refais dans ta hâte continuelle.

Pour moi, je fais le vœu, le vœu pour toujours, d’être constant, en dépit de toi et de ta faux.