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LE VIOL DE LUCRÈCE.

CXC

Il est plus émouvant de voir de tristes spectacles que de les entendre raconter ; car alors le regard commente pour l’oreille la navrante pantomime dont il est témoin ; chaque sens ne percevant qu’une partie de souffrance, l’oreille ne vous révèle qu’une douleur partielle. Les passes profondes font moins de bruit que les eaux basses ; et la douleur qu’a soulevée une tempête de paroles a toujours un reflux.

CXCI

Sa lettre est maintenant scellée et porte cette suscription : À Ardée, pour mon mari, plus que pressée. » Le courrier est prêt, Lucrèce la lui remet, en recommandant au valet à la mine inquiète de courir aussi vite que les oiseaux retardataires devant le vent du nord. Une rapidité plus que rapide lui semble une fastidieuse lenteur ; l’émotion extrême réclame toujours les extrêmes.

CXCII

Le rustique maraud lui fait un profond salut, et, rougissant, l’œil fixe, reçoit le papier sans dire oui ni non, puis se sauve avec la timidité de l’innocence. Mais ceux qui ont un remords dans le cœur, s’imaginent que tous les yeux voient leur honte ; Lucrèce a cru en effet que le valet rougissait de la sienne.

CXCIII

Candide valet ! Dieu sait que c’était chez lui défaut d’esprit, d’animation et de hardiesse. Il est de ces êtres inof-