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INTRODUCTION.

ser, un moment après, cette question doucereuse :

— Eh bien, Shylock, serons-nous vos obligés ?

On conçoit que tant d’impertinence finisse par agacer Shylock. Cette façon de demander service à un homme en lui jetant de la boue a de quoi lasser la patience du plus patient. Aussi le rouge monte à la face du juif, et c’est avec peine qu’il contient sa colère prête à éclater :

— Signor Antonio, dit-il d’une voix de plus en plus vibrante, mainte et mainte fois sur le Rialto, vous m’avez honni à propos de mon argent et de mon usance. Je l’ai supporté patiemment avec un haussement d’épaules, car la souffrance est l’insigne de toute notre tribu. Vous m’appeliez mécréant, chien, coupe-jarrets, et vous crachiez sur mon gaban juif, et cela parce que j’use de ce qui m’appartient. Eh bien, il paraît qu’aujourd’hui vous avez besoin de mon aide. En avant donc ! Vous venez à moi et vous me dites : Shylock, nous voudrions de l’argent ! Vous dites cela, vous qui vidiez votre bave sur ma barbe et qui me repoussiez du pied comme on chasse un limier étranger de son seuil ! Vous sollicitez de l’argent ! Que puis-je vous dire ? Ne devrais-je pas vous dire : Est-ce qu’un chien a de l’argent ? est-il possible qu’un limier puisse prêter trois mille ducats ? Ou bien dois-je m’incliner profondément et d’un ton servile, retenant mon haleine dans un murmure d’humilité, vous dire ceci : Mon beau monsieur, vous avez craché sur moi mercredi dernier, vous m’avez chassé du pied tel jour, une autre fois vous m’avez appelé chien : pour toutes ces courtoisies, je vais vous prêter tant d’argent.

À cette plainte si éloquente et si pathétique du souffre-douleur, que va répliquer Antonio ? Va-t-il faire réparation au juif ? Va-t-il, comme il le devrait, effacer par une éclatante apologie ses violences passées ? Va-t-il, comme