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SCÈNE XIV.

n’ont certes pas pu engendrer — chez nous une libéralité si généreuse. Quelle en est donc la cause ? — En quelle explication l’estomac multiple de la foule peut-il digérer — la courtoisie du sénat ? Ses actes expriment assez — ce que doivent être ses paroles : « Nous avons demandé cela ; — nous sommes la masse la plus nombreuse, et c’est par pure frayeur — qu’ils ont accédé à notre requête. » Ainsi nous ravalons — la dignité de nos siéges, en autorisant la plèbe — à traiter de frayeur notre sollicitude ! Un jour, grâce à cette concession, nous verrons forcer — les portes du sénat, et l’essaim des corbeaux — s’abattre sur les aigles.

ménénius.

Allons, assez.

brutus.

— C’est assez, et c’est trop.

coriolan.

Non, vous m’entendrez encore. — Que l’invocation à toutes les puissances divines et humaines — soit le sceau de mes dernières paroles !… Là où le gouvernement est double, — là où un parti, ayant tout droit de dédaigner l’autre parti, — est insulté par lui sans raison ; là où la noblesse, le rang, l’expérience — ne peuvent rien décider que par le oui et le non — de l’ignorance populaire, la société voit négliger — ses intérêts réels, et est livrée — à l’instabilité du désordre : de cette opposition à tout propos il résulte — que rien ne se fait à propos. Aussi, je vous adjure, — vous qui êtes plus sages qu’alarmés, — vous chez qui l’attachement aux institutions fondamentales de l’État — prévaut sur la crainte d’un changement, vous qui préférez — une noble existence à une longue, et ne craignez pas — de secouer par un remède dangereux un malade — sûr autrement de mourir, arrachez sur-le-champ — la langue à la multitude, qu’elle ne puisse plus lécher — le miel dont elle s’empoisonne. Votre avi-