Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1873, tome 12.djvu/47

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les pensées s’échangent en chuchotements. Le roi, enveloppé dans un manteau, a quitté la tente royale et couche sur la dure. Lui, le premier de tous, il donne l’exemple du sacrifice et de l’humilité ! Ce n’est pas au milieu de ses nobles qu’il passe cette nuit suprême, c’est au milieu de ses soldats. Fi de l’étiquette et de l’apparat royal ! Ses camarades de lit, ce n’est pas vous, milords ; ce n’est pas vous, duc de Bedford, ni vous, comte de Salisbury, ni vous, comte de Westmoreland ; c’est toi, Court, c’est toi, Williams, c’est toi, Bates. À la veille de la grande bataille nationale, l’élu du peuple repose avec les hommes du peuple. Arrière, pairs d’Angleterre ! Le roi d’Angleterre vous préfère les manants. Et que leur dit-il à ces subalternes idolâtres de royauté ? Il leur révèle le néant de la toute-puissance royale : « Je vous le déclare, Bates, le roi n’est qu’un homme : tous ses sens sont soumis aux conditions de l’humanité ; dépouillez-le de ses pompes, ce n’est qu’un homme dans sa nudité. » Sa conversation, exaltée par le péril imminent, s’élève peu à peu à la hauteur d’une prédication. Il veut que chacun se prépare religieusement pour un dénoûment funèbre ; il proclame que toute conscience est souveraine d’elle-même, et répudie comme un blasphème cette théorie de l’omnipotence monarchique qui attribue au prince la domination des âmes : « L’âme de chaque sujet n’appartient qu’à lui-même. Aussi chaque soldat doit faire à la guerre ce que fait un malade dans son lit, laver sa conscience de toute souillure. S’il meurt ainsi, la mort est pour lui un bienfait. S’il ne meurt pas, il doit bénir le temps perdu à gagner un tel viatique. »

Henry est lui-même prêt à faire l’acte de contrition qu’il conseille à ses soldats. L’aube se lève, et voilà le prince à genoux. Au moment de risquer la révolution,