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LA PATRIE.

cynique qu’aucune tendresse ne palpite en lui ; désormais, sur d’être sans scrupule comme sans remords, il savoure en imagination le succès que son manque de cœur lui promet.

Ce succès d’ailleurs est assuré par la force des choses. Richard est porté au pouvoir, non-seulement par l’impassibilité de son génie, mais encore et surtout par l’irrésistible logique des temps. Son avènement est la conclusion nécessaire d’une crise sociale où ont été engloutis les éléments les plus purs et les plus généreux de la civilisation, les qualités les plus essentielles, les vertus les plus nécessaires de l’humanité. Tous les instincts néfastes, tous les appétits féroces, tous les vices, toutes les vilenies, toutes les fourberies, toutes les turpitudes qu’à fait prévaloir l’épouvantable guerre des Deux Roses, doivent être couronnés avec Richard et régner avec lui. Une telle anarchie devait aboutir à une telle dictature. À cette génération monstrueuse il fallait ce monstrueux bourreau.

II

Le critique qui veut apprécier impartialement une œuvre composée sous un gouvernement tyrannique, doit toujours tenir compte de l’influence qu’a pu exercer ce gouvernement sur la conception même de cette œuvre. Le despotisme en effet n’entrave pas seulement la liberté civile et la liberté politique, il circonscrit la liberté morale, la liberté de la conscience, la liberté de la pensée. Le despotisme gêne les opérations les plus délicates et les plus subtiles de l’esprit. Il met l’insaisissable imagination elle-même sous la surveillance de sa haute police. Il arrête et charge de chaînes l’idéal.

L’écrivain le plus indépendant et le plus audacieux,