Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/38

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ACTE I, SCÈNE III. 31

rôle a de plus solennel, vous mourrez. (Sortent le duc Frédéric et les Seigneurs.)

CÉLIA. — Ah ! ma pauvre Rosalinde ! où iras-tu ? veuxtu changer de père ? je te donnerai le mien. Je te défends, d’à voir plus de chagrin que moi.

ROSALINDE. — J’ai plus de raison que vous d’en avoir.

CÉLIA. — Non, cousine ; tu n’en as pas davantage. Je t’en prie, sois joyeuse ; ne sais-tu pas que le duc m’a bannie, moi sa fille ?

ROSALINDE. — Il n’a pas fait cela.

CÉLIA. — Non ? ah vraiment ! Rosalinde a donc perdu cette affection qui lui disait qu’elle et moi nous ne -faisions qu’une ? Est-ce que nous allons être séparées ? Estce que nous allons nous dire adieu, mon aimable fille ? Non, que mon père cherche une autre héritière. En conséquence décide avec moi comment nous pouvons fuir, où nous devons aller, et ce que nous devons emporter avec nous. Ah ! ne cherche pas à supporter seule ton malheur, à garder tes chagrins pour toi seule et à m’abandonner, car, par ce ciel qui est pâle de notre douleur, tu diras ce que tu voudras, mais je m’en irai avec toi..

ROSALINDE. — Mais, où irons-nous ?

CÉLIA. — Chercher mon oncle dans la forêt des Ardennes.

ROSALINDE. — Hélas ! quel danger sera pour nous, jeunes filles que nous sommes, un voyage si lointain ! La beauté provoque les voleurs plus que l’or.

CÉLIA. — Je me revêtirai d’un costume pauvre et modéra, et je noircirai ma figure avec une manière de terre d’ombre 5 ; fais-en autant, et nous pourrons circuler sans douter l’éveil à aucun assaillant.

IOSALINDE. — Ne vaudrait-il pas mieux que moi, qui sui : d’une taille de beaucoup au-dessus de l’ordinaire, je m’iabillasse de tous points comme un homme ? Avec une belle dague à la cuisse, un épieu à la main, quelles que soient les craintes féminines qui seront cachées dans moi cœur, nous aurons un petit air fanfaron et martial,