Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/414

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aussi claire que la première, et cependant, en la pressant un peu, elle se rapporterait à moi, car chacune de ces lettres se trouve dans mon nom. Doucement ! voici de la prose qui suit. (Il lit.)

« Si cette lettre tombe entre tes mains, médite-la. Mon étoile me place au-dessus de toi ; mais ne redoute pas la grandeur : quelques-uns naissent dans la grandeur, d’autres la conquièrent, et elle se donne librement à d’autres. Ta destinée t’ouvre les bras ; jettes-y-toi de corps et d’âme. Et pour t’habituer à ce que tu dois vraisemblablement devenir, dépouille ton humble enveloppe et fais peau neuve. Sois tranchant avec un parent, hargneux avec les serviteurs ; que ta langue clapotte des raisonnements politiques ; donne à ta personne le fion de la singularité : ainsi te conseille celle qui soupire pour toi. Souviens-toi de celle qui fit l’éloge de tes bas jaunes et qui exprima le désir de te voir toujours avec tes jarretières en croix ; souviens t’en, dis-je. Va, ta fortune est faite, si tu le veux ; sinon reste pour toujours un intendant, le compagnon des serviteurs, indigne de toucher le bout des doigts de la fortune. Adieu ; celle qui voudrait changer de service avec toi,

L’heureuse Infortunée. »

On ne pourrait pas y voir plus clair en plein jour et en rase campagne : c’est évident. Je vais être fier, je vais lire les auteurs politiques, je vais bafouer messire Tobie, je vais me nettoyer de mes grossières connaissances, je vais être pointilleux, je serai l’homme même qu’on me recommande d’être. Je ne caresse pas une chimère, je ne suis pas le jouet de mon imagination, car toutes sortes de raisons tendent à me prouver que ma maîtresse m’aime. Elle fit tout récemment l’éloge de mes bas jaunes, elle me félicita d’avoir mis mes jarretières en croix ; elle me rend manifeste son amour en me rappelant ces circonstances, et elle me fait une manière d’injonction d’avoir à continuer mes habitudes qui lui plaisent. Grâces soient rendues à mes étoiles, je suis heureux. Je vais être froid,