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ŒUVRES EN PROSE

illustres du génie humain. Il peut arriver que l’auteur s’abstienne de présenter son œuvre au monde avec toute la pompe de la librairie charlatanesque. Une marée inattendue dans les affaires humaines peut imposer la livrée de l’obscurité ou du discrédit à celui qui aura dédaigné ou combattu quelque doctrine insignifiante. Ceux-la mêmes qui sont à l’abri de l’influence de ces absurdes engouements, en ressentent forcément l’effet d’une manière indirecte. Voici peut-être le produit d’une imagination audacieuse et indisciplinée ; la majorité des lecteurs ignorants et dédaigneux de la tolérance refuse de pardonner la négligence des règles ordinaires ; leurs principes de critique sont enfreints avec insouciance. Il est moins religieux qu’un sermon de charité ; moins méthodique et moins froid qu’une tragédie française, où sont observées toutes les unités ; il n’est pas de qualités supérieures qui puissent le défendre contre le mépris et l’horreur de la multitude, alors qu’il n’y a pas ce jargon de la pruderie et cette monotonie de la régularité. Évidemment il n’est pas difficile de concevoir un cas, où le génie le plus élevé sera récompensé par l’indifférence. Il semble que seule la médiocrité échappe invariablement à la réprimande bourrue et à l’invective : elle accommode ses efforts à l’esprit du siècle qui l’a produite, et singe effrontément le cant du jour et de l’heure, auquel se réduira la durée de sa vie.

Nous croyons que les Mémoires du Prince Alexy Haimatoff méritent d’être regardés comme un exemple du fait, dont la fréquence justifie la cri-