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ŒUVRES EN PROSE

tra au chant du coq ; il n’a jamais entendu le chant de l’alouette, ni le bourdonnement de la foule affairée ; les rayons du soleil ne l’ont jamais réchauffé ; seul un pâle rayon de lune éclaire sa figure qui n’a rien de terrestre, et qu’évente l’aile de la chouette, à peine assez forte pour détourner le vol pesant de l’insecte bourdonnant, ou de la somnolente chauve-souris.

» Regardez-le ! il s’arrête ; ses maigres bras sont croisés sur sa poitrine, il est courbé vers la terre, ses yeux caves regardent du fond de leurs orbites dans le vide, ainsi que le crapaud, rampant dans le cours d’une sépulture, contemple méchamment l’obscurité qui l’entoure. Sa joue est creuse, les teintes enflammées de son visage qui jadis ressemblaient aux rayons du soleil d’automne sur les feuillages des bouleaux, sont disparues ; un jaune cadavéreux, une nuance livide y ont succédé ; la noire chevelure qui faisait l’ornement de sa tête, et qui jadis flottait à l’air comme les ailes de jais du corbeau, elle n’est plus ; le crâne n’est plus recouvert que par la peau ridée, que la corneille regarde de côté avec avidité, en appelant ses petits. Les os décharnés font saillie sous ses vêtements aux replis multipliés, sa voix est grave, creuse, sépulcrale ; c’est la voix qui réveille les morts ; il a eu de longs entretiens avec les défunts. Il essaie d’avancer sans savoir où il va, ses jambes chancellent sous lui, il tombe, les enfants le huent, les chiens aboient après lui, il ne les entend pas, il ne les voit pas.