Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/106

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noueux du vieux pin ; sur une pierre revêtue de lierre il pencha sa tête languissante ; ses membres s’affaissèrent étendus sans mouvement, sur le bord uni de ce sombre gouffre ; et ainsi il gisait, livrant à leurs dernières impulsions les pouvoirs voltigeants de la vie… Espoir et Désespoir, les tortureurs, s’endormirent ; aucune peine, aucune crainte mortelle n’empoisonnait son repos ; les afflux des sens, et son propre être n’étant plus altérés par la peine, mais cependant de plus en plus faibles, entretenaient avec calme le courant de la pensée ; son souffle respirait la paix, et il souriait doucement. Sa dernière vision fut la grande lune qui, sur la ligne occidentale du vaste monde, suspendait ses puissantes cornes, et dont les bruns rayons semblaient s’entrelacer et se confondre avec l’obscurilé. La voilà maintenant qui s’arrête sur les sommets dentelés ; et au moment où la masse divisée du vaste météore disparut, le sang du poète, qui toujours battit dans une mystique sympathie avec le flux et le reflux de la Nature, s’affaiblit encore ; et quand les deux seuls points de lumière qui restaient s’amoindrirent et ne jetèrent plus qu’une lueur dans les ténèbres, le mouvement alterné de sa respiration épuisée agita à peine la nuit stagnante ; jusqu’au dernier moment où le plus faible rayon fut éteint, la pulsation resta dans son cœur. Puis elle s’arrêta, et voltigea… Mais, quand le ciel demeura tout à fait noir, les ombres ténébreuses enveloppèrent une image silencieuse, froide et sans mouvement, comme leur terre sans voix et leur air vide. Comme une vapeur nourrie de rayons d’or, assistant au coucher du soleil, jusqu’à ce que l’ouest l’éclipse, telle était cette merveilleuse forme, — ni sentiment, ni mouvement, ni divinité,