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56 œUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY

-tions sans fin, dire leur conte ; laisse chaque partie de l’univers, rivée à la chaîne qui la relie au tout, désigner la main qui étreint son terme ! Laisse chaque semence qui tombe développer, dans sa silencieuse éloquence, sa provision d’arguments ! L’infini au dedans, l’infini au dehors, dément la création ; l’esprit impérissable qu’elle contient est le seul Dieu de la nature ; mais l’orgueil humain est habile à inventer les noms les plus graves pour cacher son ignorance.

« Lu sainteté du nom de Dieu a justifié tous les crimes ; il est lui-même le créateur de ses adorateurs ; ses noms, ses attributs et ses passions — qu’il s’appelle Seeva, Buddha, Foh, Jehovah, Dieu ou Seigneur, — changent avec les dupes humaines qui élèvent ses sanctuaires, servant toujours, sur l’univers souillé par la guerre, de mot d’ordre à la désolation ; soit que des armées, après avoir rougi dans la boue sanglante de la mort les roues de leurs chars, les fassent rouler dans le triomphe, pendant que des brahmanes entonnent l'hymne sacré mêlé aux gémissements ; soit que les innombrables associés de son pouvoir se partagent sur le faible l’exercice de sa tyrannie ; soit que la fumée des tours incendiées, les cris de désespoir des femmes, ceux de la vieillesse désarmée, de la jeunesse et de l’enfance horriblement massacrées, montent au ciel en l’honneur de son nom ; ou que, dernière et pire des infamies, la Terre gémisse sous l’âge de fer de la religion, et que les prêtres osent bégayer le nom d’un Dieu de paix, alors même que leurs mains sont rougies du sang innocent, ne cessant d’immoler, déracinant tout germe de vérité, promenant partout l’extermination et la ruine, faisant de la terre une boucherie !