Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

yeux bien-aimés, le poète était assis, tenant le gouvernail d’une main assurée. Le soir arriva : les rayons du soleil couchant suspendirent leurs couleurs irisées au milieu des dômes changeants de l’embrun étendu qui faisaient un dais à son passage sur le sauvage abîme ; le crépuscule, montant lentement de l’est, entrelaça en tresses plus sombres ses boucles emmêlées sur le beau front et les yeux rayonnants du jour ; la nuit le suivit, revêtue d’étoiles. De toutes parts, avec plus d’horreur encore, les multitudes de courants du montagneux désert de l’océan se ruèrent en un mutuel combat, dans un noir tumulte retentissant comme le tonnerre, comme pour insulter au calme du ciel étoile. La petite embarcation fuyait toujours devant l’orage ; elle fuyait toujours comme l’écume au-dessous de la cataracte escarpée d’un torrent d’hiver ; tantôt s’arrêtant sur le bord d’une vague fendue ; tantôt laissant loin derrière elle la masse éclater et tomber, en soulevant l’océan… Elle fuyait sans rien craindre, comme si cette frêle et chétive forme humaine avait été un dieu des éléments.

À minuit la lune se leva ; et alors ! apparurent les rochers aériens du Caucase, dont les sommets de glace brillaient au milieu des étoiles comme la lumière du soleil, pendant qu’autour de sa base caverneuse les rafales et les vagues, éclatant avec une irrésistible furie, tourbillonnent avec rage et retentissent éternellement. — Qui le sauvera ? Le bateau volait toujours, poussé par le torrent bouillonnant ; tout autour les rochers faisaient une ceinture de leurs bras noirs et dentelés ; la montagne fendue en éclats pendait sur la mer ; et toujours plus rapide, au-delà de toute vitesse humaine, suspendu sur la courbe de la vague unie, le petit bateau était poussé.