Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/20

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reprise, la satisfaction du public se manifesta par des bravos fréquens et universels. On suppose que l’intrigue de cette pièce a quelques rapports avec l’histoire du mariage de l’auteur : le caractère le mieux tracé est, sans contredit, celui de sir Lucius O’Trigger, véritable Milésien, toujours prêt à se battre avec lé premier venu, avec ou sans raison. Celui de mistress Malaprop est un peu chargé et rappelle au lecteur le personnage beaucoup plus naturel de Slip Slop dans un des romans de Fielding. Au total, cet ouvrage n’est pas indigne de la plume de Sheridan, qui, à la seconde épreuve, fut si content du jeu de M. Glinch dans le rôle du baronnet irlandais, galant et belliqueux, qu’il fit peu de temps après pour sa représentation à bénéfice une farce intitulée la Saint-Patrice, ou les Stratagèmes d’un lieutenant. Il y a de la gaieté dans cette bagatelle qui, cependant, n’ajoute pas beaucoup à la réputation de Sheridan comme auteur comique. Au commencement de la saison suivante, la Duègne fut jouée sur le même théâtre, au milieu d’applaudissemens unanimes qui allèrent toujours en croissant pendant soixante-quinze représentations[1] ; c’était dix de plus que n’en avait obtenu le fameux opéra de Gay, intitulé l’Opéra des Gueux, à sa première apparition sur le théâtre. L’idée de cette pièce est, dit-on, prise de la Femme de Campagne, comédie de Wycherley[2]. Quoiqu’il en soit, elle contient des La réputation de Sheridan, comme auteur dramatique, fut bientôt pleinement établie : le Roscius anglais, Garrick, était son ami le plus dévoué, et parmi ses conseillers et ses connaissances intimes, il comptait Burke, le docteur Barnard, Gibbon, sir Joshua Reynolds, George Colman, le docteur Thomas Franklin, et enfin le fameux lexicographe et moraliste Johnson. Ce dernier aimait singulièrement la conversation brillante de notre auteur ; et après la représentation de la Duègne, il le proposa pour membre du club littéraire. Sheridan y fat admis dans le courant de l’année.

  1. Cet soixante-quinze représentations furent données sans autre interruption que les fêtes de Noël et les vendredis, parce que Leoni, qui remplissait le rôle de Carlos, étant juif, ne pouvait jouer ces jours-là. Pour balancer ce succès d’un théâtre rival, Garrick jugea nécessaire de reparaître dans tous ses meilleurs rôles. Il eut même recours à l’expédient d’opposer la mère au fils, en faisant reprendre la Découverte, comédie de mistress Frances Sheridan et en se chargeant du principal rôle. Par allusion aux fatigues que cette lutte contre la Duègne causa à Garrick, qui entrait dans sa soixantième année, un de ses confrères disait plaisamment : « La vieille femme tuera le vieil bomme. » (Mémoires sur Sheridan par Th. Moore.)
  2. Auteur de l’Homme franc ; il était contemporain de Molière.