Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/44

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leur discours à l’esprit exact de leurs auditeurs, de n’examiner dans toute question que le fait, l’intérêt et le droit. M. de Staël, qui a publié dernièrement un voyage en Angleterre, regrette qu’on ail laissé si peu de place à l’éloquence dans les débats du parlement M. de Staël a des raisons de famille pour prendre le parti de l’éloquence ; mais que faire devant une assemblée qui préfère une bonne loi sur les grains au plus-briliant exorde, qui met une réduction de l’accise avant toutes les périodes cicéroniennes.

Au temps où Sheridan parut, les affaires ne jouaient pas un rôle si important : elles étaient moins un but qu’une occasion de parler, et la ne était devenue l’arène où les beaux espris de l’Angleterre, se dispulaient le noble prix de bien dire. Fox, Burke, Sheridan, Pitt, s’occupaient avant tout de charmer leurs auditeurs. Ce dernier laissait à la trésorerie le soin de les convaincre. Entre ces quatre grands orateurs, il serait difficile d’assigner les rangs ; mais il est une partie de l’éloquence où, d’un consentement unanime, Sheridan les surpassa tous : c’est l’ironie. Jamais on ne sut manier avec plus de grâce et de force cette arme terrible, cette arme poignante, qui, comme le dit Byron, ne laisse pas même à ceux qu’elle blesse la triste consolation de se plaindre.

La plaisanterie anglaise, si j’ose m’exprimer ainsi, est longue ; les meilleurs écrivains de ce pays, Swift lui-même, lorsqu’ils rencontrent un trait comique, ne savent pas s’arrêter à ce point juste où ce qui était plaisant va cesser de l’être. Sheridan, soit qu’il eût reçu du ciel l’heureux don de la bonne plaisanterie, soit que l’habitude du dialogue théâtral lui eût appris à resserrer son style, ne tombe pas dans ce défaut. Ses traits rapides et acérés atteignent le but sans jamais le dépasser ; aussi manquèrent-ils rarement leur effet. Quelques exemples qu’on me permettra de citer, prouveront, je l’espère, combien il avait d’esprit dans toute l’acception que nous donnons à ce mot. On a fait beaucoup de phrasés sur la compagnie des Indes, cette association singulière de marchands et de soldats ; mais personne peut-être ne l’a caractérisée d’une manière plus piquante que Sheridan. « Je me souviens, dit-il dans un de ses plaidoyers contre Hastings ; je me souviens d’avoir entendu un honorable membre faire remarquer qu’il y avait dans l’organisation primitive de la compagnie des Indes, quelque chose qui étendait les principes sordides de son origine sur toutes ses opérations, et qui associait à sa politique et même à ses plus audacieux exploits la pitoyable mesquinerie du brocanteur et la cruelle rapacité du pirate. Ainsi dans sa carrière politico-militaire, nous voyons des ambassadeurs mettre à l’enchère y des généraux-