Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/122

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Mais Vinicius, le visage menaçant, s’approcha de lui et, d’une voix sourde :

— Qui te dit que tu mourras de la main de Glaucos plutôt que de la mienne ? Sais-tu, chien, si dans un instant on ne t’enfouira pas dans mon jardin ?

Chilon était lâche ; il regarda Vinicius et jugea d’un coup d’œil qu’une parole imprudente de plus déciderait de sa perte.

— Je la chercherai, seigneur, et je la trouverai ! — s’écria-t-il vivement.

Il se fit un silence coupé seulement par le souffle haletant de Vinicius et, au loin, par le chant des esclaves travaillant au jardin.

Voyant que le jeune patricien devenait plus calme, le Grec reprit :

— La mort m’a effleuré, mais je l’ai regardée avec autant d’impassibilité que Socrate. Non, seigneur, je n’ai pas dit que je renonçais à retrouver la jeune fille, je voulais seulement te signaler le danger qui menacera désormais mes démarches. Jadis, tu as douté de l’existence d’Euricius, et t’étant convaincu de tes propres yeux que le fils de mon père te disait la vérité, tu me soupçonnes aujourd’hui d’avoir inventé Glaucos. Hélas ! que n’est-il un mythe ! Pour pouvoir aller en toute sécurité chez les chrétiens, comme auparavant, je céderais volontiers cette pauvre vieille esclave que j’ai achetée voici trois jours pour qu’elle prenne soin de ma vieillesse et de mon faible corps. Glaucos vit, seigneur, et s’il m’aperçoit une seule fois, toi tu ne m’apercevras plus jamais. Alors, qui te retrouvera la jeune fille ?

Il se tut, essuya ses larmes, puis reprit :

— Mais, puisque Glaucos vit, que je puis à tout instant le rencontrer, que cette rencontre peut me perdre et avec moi le résultat de toutes mes recherches, comment chercher la jeune fille ?

— Que penses-tu faire ? Quel remède à cela ? Que veux-tu entreprendre ? — questionna Vinicius.

— Aristote nous enseigne qu’il faut sacrifier les petites choses aux grandes, et le roi Priam tenait la vieillesse pour un fardeau pesant. Or, le fardeau de la vieillesse et des malheurs écrase depuis longtemps Glaucos, au point que la mort serait un bienfait pour lui. Qu’est la mort, suivant Sénèque, sinon une délivrance ?

— Fais le bouffon avec Pétrone, mais non avec moi ; dis carrément ce que tu proposes !

— Si la vertu est une bouffonnerie, fassent les dieux que je reste bouffon toute ma vie ! Je propose, seigneur, d’écarter Glaucos,