Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/269

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

se venger de votre joug d’une façon terrible, comme ils l’ont fait déjà plus d’une fois. Tu es riche, et tu ignores si demain on ne t’ordonnera pas de restituer tes richesses ; tu es jeune, et peut-être que demain il te faudra mourir ; tu aimes, mais la trahison te guette ; tu tiens à tes villas et à tes statues, et demain tu pourrais être exilé à Pendataria ; tu as des milliers d’esclaves : demain ils pourraient t’égorger. S’il en est ainsi, comment pouvez-vous être tranquilles, heureux, et vivre dans la joie ? Et moi, je prêche l’amour, j’enseigne la doctrine qui ordonne aux supérieurs d’aimer leurs inférieurs, aux maîtres d’aimer leurs esclaves, aux esclaves de servir par affection ; cette doctrine répand la justice et la miséricorde, et enfin, elle promet le bonheur, vaste comme la mer. Alors, comment, toi, Pétrone, peux-tu dire qu’elle gâte la vie, puisqu’elle la redresse, et que toi-même tu serais cent fois plus heureux et plus tranquille si elle s’étendait sur l’univers, comme s’y est étendue votre puissance romaine ? »

Ainsi parlait Paul, et Pétrone de répondre : « Tout cela n’est pas pour moi. » Et, feignant d’avoir sommeil, il sortit, non sans toutefois ajouter : « Je préfère mon Eunice à ta doctrine, Hébreu, mais cependant je ne voudrais pas discuter avec toi en public. » Pour moi, j’écoutais Paul de Tarse de toute mon âme, surtout quand il parlait de nos épouses, et je glorifiais de tout mon cœur la doctrine dont tu es née, comme le printemps fait naître les lis. Et je songeais : Voici Poppée qui a abandonné deux maris pour Néron, voici Calvia, Crispinilla, Nigidia, presque toutes celles que je connais, sauf Pomponia, qui trafiquent de leur fidélité et de leurs devoirs. Une seule, mon unique Lygie, ne me quittera pas, ne me trahira pas, ne laissera pas s’éteindre mon foyer, quand même tous mes espoirs me trahiraient et me tromperaient. Je te disais du fond de mon âme : Comment te prouver ma reconnaissance autrement que par l’amour et par le respect ? Sentais-tu que là-bas, à Antium, je m’entretenais avec toi toujours, sans trêve, comme si tu avais été près de moi ? Je t’aime cent fois plus parce que tu m’as fui dans le palais de César. Je n’en veux pas non plus, de ses palais, de son luxe, de ses chants. Je ne veux que toi ! Dis un mot, et nous quittons Rome pour aller nous fixer quelque part, au loin.

Et elle, tenant toujours sa tête sur l’épaule de son fiancé, releva ses yeux rêveurs vers la cime argentée des cyprès et répondit :

— Bien, Marcus. Dans ta lettre, tu m’as parlé de la Sicile. C’est là que les Aulus iront aussi pour y couler leurs vieux jours…

Vinicius l’interrompit avec joie :

— Oui, mon aimée. Nos terres sont voisines. C’est là un merveilleux