Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/292

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de bras se levaient contre lui. Mais son cheval effrayé l’emporta hors de la foule, en piétinant les assaillants, et un nouveau tourbillon de fumée noire obscurcit la rue. Vinicius, constatant qu’il ne pourrait passer avec son cheval, mit pied à terre. Il courut. Il se glissait le long des murs et parfois attendait que la masse des fuyards l’eût dépassé. Au fond de lui-même, il se disait que ses efforts étaient vains. Peut-être que Lygie n’était plus dans la ville et avait pu s’enfuir ; et puis, il eût été plus facile de retrouver une aiguille sur le rivage de la mer que n’importe qui dans ce chaos. Pourtant, fût-ce au prix de sa vie, il voulait atteindre la maison de Linus. De temps en temps il s’arrêtait et se frottait les yeux. Ayant arraché un pan de sa tunique, il s’en boucha le nez et la bouche et reprit sa course. Plus il approchait de la rivière et plus la chaleur se faisait terrible. Sachant que l’incendie avait éclaté près du grand Cirque, il crut d’abord que cette chaleur provenait de ses décombres et de ceux du Forum Boarium et du Velabrium situés dans le voisinage et sans doute détruits par les flammes. Vinicius rencontra un dernier fuyard, un vieillard avec des béquilles, qui lui cria : « N’approche pas du Pont Cestius, l’île entière est en feu ! » En effet, on ne pouvait plus se faire illusion. Au tournant du Vicus Judeorum, où s’élevait la maison de Linus, le jeune tribun aperçut les flammes au milieu d’un nuage de fumée : non seulement l’île était en feu, mais aussi le Transtévère, et bien certainement l’extrémité de la ruelle où demeurait Lygie.

Vinicius se souvint que la maison de Linus était entourée d’un jardin derrière lequel, du côté du Tibre, se trouvait un terrain sans constructions. Cette pensée lui rendit du courage. Les flammes avaient pu s’arrêter devant cet espace vide. Dans cet espoir, il se remit à courir, bien que chaque souffle de vent apportât non plus seulement de la fumée, mais des milliers d’étincelles qui pouvaient porter le feu à l’autre bout de la ruelle et lui couper la retraite.

Enfin, à travers le rideau de fumée, il aperçut les cyprès du jardin de Linus. Déjà les maisons situées derrière le terrain vague flambaient comme des tas de bois, mais la petite insula de Linus était encore intacte. Vinicius jeta au ciel un regard reconnaissant et, bien que l’air même fût devenu incandescent, il bondit vers la porte. Elle était entrebâillée : il la poussa et se précipita à l’intérieur.

Dans le jardinet, pas une âme, et la maison semblait absolument déserte.

« Peut-être que la fumée et la chaleur leur ont fait perdre connaissance », songea Vinicius.

Et il se mit à crier :