Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/425

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— Regardez où cela vous mène, — disait Barcus Soranus. — Vous vouliez assouvir la vengeance du peuple et le convaincre que le châtiment frappait les vrais coupables ; et vous avez atteint un résultat diamétralement opposé.

— C’est vrai ! — ajouta Antistius Verus, — tous chuchotent à présent que les chrétiens sont innocents. Si vous appelez cela de l’habileté, alors Chilon avait raison quand il disait que vos cervelles n’empliraient pas le godet d’un gland.

Tigellin se tourna vers eux :

— On chuchote aussi que ta fille Servilia, Barcus Soranus, et que ta femme, Antistius, ont soustrait leurs esclaves chrétiens à la justice de César.

— Ce n’est pas vrai ! — s’écria Barcus, d’une voix inquiète.

— Ce sont vos femmes divorcées qui veulent perdre la mienne : elles la jalousent pour sa vertu, — protesta avec non moins d’anxiété Antistius Verus.

Les autres causaient de Chilon.

— Que lui est-il arrivé ? — disait Eprius Marcellus. — C’est lui-même qui les a livrés à Tigellin. De loqueteux qu’il était, il est devenu riche ; il aurait pu finir ses jours en paix, avoir de belles funérailles et un monument sur sa tombe. Et voici que soudain il a voulu tout perdre et se perdre lui-même ! En vérité, il est devenu fou !

— Il n’est pas devenu fou, il est devenu chrétien, — dit Tigellin.

— C’est impossible ! — s’écria Vitellius.

— Je vous le disais bien, — intervint Vestinus ; — supprimez les chrétiens, mais, croyez-moi, ne faites pas la guerre à leur divinité. Il ne faut pas plaisanter avec elle !… Voyez ce qui se passe ! Moi, je n’ai pas brûlé Rome ; et cependant, si César le permettait, j’offrirais immédiatement une hécatombe à leur dieu. Et tous, vous devriez en faire autant, car, je vous le répète, il ne faut pas plaisanter avec lui. Rappelez-vous que je vous l’ai dit.

— Et moi, je vous dirai autre chose, — ajouta Pétrone. — Tigellin s’est mis à rire quand j’ai affirmé qu’ils s’armaient. Maintenant, je puis vous dire mieux : ils font des conquêtes !

— Comment ? Comment ? — s’enquirent plusieurs voix.

— Par Pollux !… Si un homme comme Chilon ne leur a pas résisté, qui donc leur résistera ? Si vous vous figurez qu’après chaque spectacle le nombre des chrétiens n’augmente pas, alors devenez marchands de chaudrons, ou bien allez barbifier les gens, pour mieux vous rendre compte de ce que pense le peuple et de ce qui se passe en ville.