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APPORT DE DELACROIX

égards, entre la dernière manière de Delacroix, rose clair, argentine et délicieuse dans le gris, et les dernières ébauches de Turner. Il n’y a pas là pourtant la moindre imitation du maître anglais par le maître français ; notons seulement chez ces deux grands peintres, au déclin de la vie, des inspirations de couleurs à peu prés analogues. Ils s’élèvent de plus en plus dans la lumière, et la nature, perdant pour eux, de jour en jour, sa réalité, devient une féerie.

« Il (Turner) s’était mis en tête que les artistes les plus illustres de toutes les écoles, sans excepter les Vénitiens, étaient restés bien au-dessous de l’éclat pur et joyeux de la nature, d’un côté en assombrissant les ombres par convention et d’un autre côté en n’osant pas attaquer franchement toutes les lumières que leur montrait la création dans sa virginité. Aussi essaya-t-il les colorations les plus brillantes et les plus étranges.

« Delacroix, homme plus ardent encore et plus positif que Turner, n’a pas poussé si loin l’aventure, mais, comme l’artiste anglais, il est insensiblement monté d’une harmonie grave comme les sons du violoncelle à une harmonie claire comme les accents du hautbois… »

6. Son voyage au Maroc (1832) lui sera plus profitable encore que son voyage en Angleterre. Il en revint ébloui de lumière, grisé par l’état harmonieux et puissant de la couleur orientale.

Il a étudié les colorations des tapis, des étoffes, des faïences. Il a compris que les éléments dont ils se composent, séparément intenses et presque criards, se reconstituent en teintes d’une délicatesse extrême et sont juxtaposés suivant des règles immuables qui en assurent l’harmonie. Il a constaté qu’une surface colorée n’est agréable et brillante qu’autant qu’elle n’est ni lisse ni uniforme ; qu’une couleur n’est belle que si elle vibre