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Le Conte de l’Archer.

mon lit, pleuré par une vieille femme et béni par un gros moine.

— Hi ! hi ! hi ! fit la pauvre Mathurine en étouffant ses sanglots.

— La première oie que je mange m’étouffe si je prie pour toi ! grommela frère Étienne.

— Mon devoir est donc, continua maître Guillaume, de te bien réconforter l’âme afin de me venir retrouver dans ce séjour des élus. Sache donc, mon fils, que la vie que tu vas mener sera la plus rude du monde, mais la plus méritante qui soit ici-bas. Tu ne mangeras pas souvent ton soûl, mais tu boiras encore moins à ta soif et ne dormiras guère comme tu en auras envie. Le plus souvent tu auras pour chefs des butors qui te feront faire mille choses n’ayant pas le moindre sens commun. Mais tu ne devras les en respecter que davantage, te disant qu’ils représentent un pouvoir au-dessus de toute discussion, celui du Roi.

Il se peut que le Roi lui-même soit fort ingrat à ton endroit, et que, après que tu auras eu plusieurs membres cassés à son service, il te laisse mourir de faim dans un coin, comme un vieux cheval dont le harnais a si fort déchiré par places la peau, qu’on n’en peut plus tirer nul profit.