Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/118

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cile de proportionner la quantité du métal à la quantité précise de denrées dont il avait besoin pour le moment.

Différentes nations ont adopté pour cet usage différents métaux. Le fer fut l’instrument ordinaire du commerce chez les Spartiates, le cuivre chez les premiers Romains, l’or et l’argent chez les peuples riches et commerçants[1].

Il paraît que, dans l’origine, ces métaux furent employés à cet

  1. Ce serait se livrer à la plus infructueuse de toutes les recherches, que de prétendre remonter à l’époque où la monnaie a été pour la première fois mise en usage parmi les hommes. Autant vaudrait remonter à l’origine même de la civilisation. La monnaie n’est ni une invention ni une découverte ; on ne la doit ni au hasard ni au génie ; elle est née naturellement des besoins de la société. Smith a parfaitement établi que le penchant à échanger, particulier à l’espèce humaine, est le principe qui donne lieu à la division du travail, et que cette division ne peut se développer et s’étendre qu’à mesure qu’il y a pour chacun plus de moyens d’échanger le surplus des produits de son travail. On peut donc affirmer que partout où l’on voit qu’une grande division de travail a eu lieu, il y a eu nécessairement beaucoup d’activité dans les échanges, et que par conséquent il a existé un instrument destiné à faciliter et à accélérer les échanges, c’est-à-dire une monnaie. Tout peuple a dû choisir pour instrument d’échange la substance la plus propre à remplir cette fonction, de même qu’il a choisi, pour se nourrir et pour se vêtir, ce qu’il a pu trouver de plus convenable et de plus commode.
    Les peuples qui n’ont point eu connaissance de l’usage des métaux, se sont fait une monnaie de celle de leurs marchandises qui réunissait aux plus haut degré les deux qualités nécessaires à ce service : 1o celle de pouvoir se diviser de manière à s’approprier aux plus petits échanges ; 2o celle de pouvoir se garder pendant un certain temps sans frais et sans déchet. Il n’est donc pas surprenant qu’en Abyssinie, comme Smith le rapporte, le sel ait été adopté comme instrument ordinaire des échanges ; que, dans quelques contrées des côtes de l’Inde, on ait choisi pour cet usage le cauris, petit coquillage d’un blanc et d’un poli remarquables, et qui a une valeur comme objet de parure ; que la morue à Terre-Neuve, le tabac en Virginie, le sucre dans quelques colonies des Antilles, les peaux et cuirs préparés, dans d’autres lieux, enfin des clous même dans un village d’Écosse, puissent assez bien remplir la fonction de monnaie ; tous ces objets ayant une valeur réelle, étant divisibles, et pouvant se garder sans frais et sans déchet jusqu’au moment où le possesseur trouve occasion d’acheter. Mais parmi tous les articles divers qui sont la matière des échanges entre des hommes réunis en société, il n’en est assurément aucun qui soit moins propre à rendre le service de monnaie ou instrument intermédiaire du commerce, que ne l’est le bétail, puisqu’il ne peut être gardé et mis en réserve, ne fût-ce que pour quelques jours, sans coûter des frais de garde et des dépenses de nourriture ; puisqu’il est exposé à des accidents et à des maladies qui rendent sa possession hasardeuse ; puisque, d’un autre côté, il ne peut s’adapter à aucun autre échange que celui qui se trouverait en rapport exact avec toute la valeur de l’individu, celui-ci ne pouvant être divisé sans entrer aussitôt dans la consommation. Le bétail serait également la mesure la plus imparfaite des valeurs, attendu que la valeur de chaque animal en particulier, est diverse, dans la même espèce, à raison de l’âge, de la force, de la taille et de la santé, et une quantité d’autres circonstances, sans compter les épizooties et autres accidents naturels qui, d’un moment à l’autre, peuvent avoir une influence considérable sur la valeur tout entière de l’espèce existante dans le pays.
    Les peuples qui ont fait usage des métaux n’ont pu s’empêcher de reconnaître que ces substances possédaient éminemment les propriétés convenables à un instrument d’échanges ; et que spécialement l’or et l’argent étaient à préférer pour ce genre de service, comme étant plus inaltérables, d’une valeur plus constante, et représentant plus de richesse sous un moindre volume. Aussi les métaux grossiers ne furent-ils employés comme monnaie, que par les nations qui n’avaient pas de métaux précieux qu’elles pussent consacrer à cet usage. Garnier.