Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

profits ordinaires d’un capital de la même valeur. Il faut aussi que cette indemnité se trouve réalisée dans un temps raisonnable, en ayant égard à la durée très-incertaine de la vie des hommes, tout comme on a égard à la durée plus certaine de la machine.

C’est sur ce principe qu’est fondée la différence entre les salaires du travail qui demande une grande habileté, et ceux du travail ordinaire.

La police de l’Europe considère comme travail demandant de l’habileté celui de tous les ouvriers, artisans et manufacturiers, et comme travail commun celui de tous les travailleurs de la campagne. Elle paraît supposer que le travail des premiers est d’une nature plus délicate et plus raffinée que celui des autres. Il peut en être ainsi dans certains cas ; mais le plus souvent il en est autrement, comme je tâcherai bientôt de le faire voir[1]. Aussi les lois et coutumes d’Europe, afin de rendre l’ouvrier capable d’exercer la première de ces deux espèces de travail, lui imposent la nécessité d’un apprentissage, avec des conditions plus ou moins rigoureuses, selon les différents pays[2] ; l’autre reste libre et ouvert à tout le monde, sans condition. Tant que dure l’apprentissage, tout le travail de l’apprenti appartient à son maître ; pendant ce même temps, il faut souvent que sa nourriture soit payée par ses père et mère ou quelque autre de ses parents, et presque toujours il faut au moins qu’ils l’habillent. Ordinairement aussi, on donne au maître quelque argent pour qu’il enseigne son métier à l’apprenti. Les apprentis qui ne peuvent donner d’argent donnent leur temps, ou s’engagent pour un plus grand nombre d’années que le temps d’usage ; convention toujours très-onéreuse pour l’apprenti, quoiqu’elle ne soit pas toujours, à cause de l’indolence habituelle de celui-ci, très-avantageuse pour le maître[3]. Dans les travaux de la campagne, au contraire, le travailleur se prépare peu à peu aux fonctions les plus difficiles tout en s’occupant des parties les plus faciles de la besogne ; et son travail suffit à sa subsistance dans tous les différents degrés de sa profession. Il est donc juste qu’en Europe les salaires des artisans, gens de métier et ouvriers de manufactures, soient un peu plus élevés que ceux des ouvriers ordinaires ; ils le sont aussi et, à cause de la supériorité de

  1. Seconde section de ce chapitre.
  2. Il n’est pas besoin d’avertir que les lois qui réglaient le temps et les conditions de l’apprentissage n’existent plus aujourd’hui, du moins en France.
  3. Voyez la 2e section de ce chapitre.