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que quand ils portent sur le terrain solide de l’or et de l’argent[1]. Outre les accidents auxquels les expose l’impéritie des directeurs de ce papier-monnaie, ils sont encore sujets à en essuyer plusieurs autres dont la prudence ou l’habileté de ces directeurs ne saurait les garantir.

Par exemple, une guerre malheureuse dans laquelle l’ennemi se rendrait maître de la capitale, et par conséquent de ce trésor qui soutenait le crédit du papier-monnaie, occasionnerait de bien plus grands désordres dans un pays où toute la circulation serait établie sur du papier, que dans un pays où la plus grande partie le serait sur l’or et l’argent. L’instrument habituel du commerce ayant perdu sa valeur, on ne pourrait plus faire d’échanges que par troc ou à crédit. Tous les impôts ayant été payés habituellement en papiers, le prince n’aurait plus de fonds pour payer ses troupes ni pour approvisionner ses magasins, et le pays se trouverait dans une situation bien plus désespérée que si la plus grande partie de sa circulation eût consisté en or et en argent. Un prince jaloux de maintenir, dans tous les temps, ses États dans la position où il peut le plus facilement les défendre, doit, sous ce point de vue, les tenir en garde, non-seulement contre cette multiplication excessive de papier-monnaie, qui est funeste, même aux banques qui l’ont produite, mais même contre ce degré de multiplication qui les met à même de remplir avec du papier la majeure partie de la circulation du pays[2].

  1. Cette magnifique image de la circulation du papier des banques est l’expression réelle des faits économiques, tels que l’histoire de l’Angleterre et des États-Unis nous les a retracés depuis cinquante ans. Jamais la sagesse des vues de Smith ne s’est révélée avec plus d’éclat que dans ce chapitre où tous les économistes ont puisé les éléments de leurs travaux sur les banques, sans éclipser les siens. A. B.
  2. Dans l’état avancé où se trouve aujourd’hui la civilisation, il y a, dans tout pays ayant un bon gouvernement et une population considérable, si peu de chances de guerre civile ou d’invasion étrangère, qu’en recherchant les moyens propres à assurer la félicité nationale, on ne doit guère tenir compte de ces événements. Adopter une manière d’agir désavantageuse dans tous les temps, excepté ceux de guerre civile ou d’invasion étrangère, uniquement parce qu’elle serait bonne dans ces occasions, serait aussi absurde que de vouloir, en médecine, soumettre continuellement les hommes au régime qui convient pendant une maladie violente. Si les avantages qui résultent de l’usage du papier-monnaie sont tels qu’on en puisse jouir, sans diminution considérable, dans tous les temps, excepté ceux de guerre civile et d’invasion étrangère, l’utilité du papier-monnaie est suffisamment démontrée. Une guerre civile, de même qu’une invasion étrangère, est suivie d’un grand désordre dans la circulation, lorsque le moyen d’échange se compose d’or et d’argent. À de semblables époques, il règne une disposition générale à thésauriser. Une portion considérable du moyen d’échange se trouve retirée de la circulation, et l’on ressent immédiatement tous les maux résultant de la rareté du numéraire : le prix des denrées baisse, la valeur de l’argent hausse ; ceux qui ont du numéraire à vendre et ceux qui ont des dettes à payer éprouvent des pertes, et la misère se répand de tous côtés.
    La communauté serait en grande partie préservée des funestes conséquences de la thésaurisation par l’existence d’un papier-monnaie, et beaucoup de motifs nous portent à conclure que celles qui résultent d’une diminution de crédit seraient très-peu à craindre.
    Si l’émission du papier avait été faite par un gouvernement digne de la confiance du peuple, une invasion étrangère, qui concentrerait toutes les affections du peuple sur ce gouvernement, ne détruirait pas le crédit de ses billets.
    Il ne serait pas de intérêt des envahisseurs de détruire ce crédit, même dans la partie du pays occupée par eux, parce qu’il ne serait pas de leur intérêt de diminuer sa puissance productive.
    Personne ne perdrait en définitive, parce que, dans le cas même où la circulation des billets du gouvernement serait arrêtée dans les districts occupés par l’ennemi, ils recouvreraient leur valeur au moment où l’ennemi serait expulsé. J. Mill