Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, II.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est, sous ce rapport, le même que suivait anciennement l’Espagne ; et quant à ces deux dernières provinces, le Portugal a adopté des mesures encore bien plus mauvaises.

D’autres nations laissent le commerce de leurs colonies libre à tous leurs sujets, lesquels peuvent le faire de tous les différents ports de la mère patrie, et n’ont besoin d’autre permission que des formalités ordinaires de la douane. Dans ce cas, le nombre et la position des différents commerçants répandus dans toutes les parties du pays les met dans l’impossibilité de former entre eux une ligue générale, et la concurrence suffit pour les empêcher de faire des profits exorbitants. Au moyen d’une politique aussi franche, les colonies sont à même de vendre leurs produits, ainsi que d’acheter les marchandises de l’Europe, à des prix raisonnables. Or, depuis la dissolution de la compagnie de Plymouth, arrivée à une époque où nos colonies n’étaient encore que dans leur enfance, cette politique a toujours été celle de l’Angleterre ; elle a été aussi, en général, celle de la France, et c’est le système qu’a suivi constamment celui-ci depuis la dissolution de ce que nous appelons communément la Compagnie française du Mississipi. Aussi, les profits du commerce que font la France et l’Angleterre avec leurs colonies ne sont-ils pas du tout exorbitants, quoique sans doute un peu plus forts que si la concurrence était libre à toutes les autres nations ; et le prix des marchandises de l’Europe, dans la plupart des colonies de ces deux nations, ne monte pas non plus à un taux excessif.

D’ailleurs, ce n’est qu’à l’égard seulement de certaines marchandises que les colonies de la Grande-Bretagne sont bornées au marché de la mère patrie pour l’exportation de leur produit surabondant. Ces marchandises, ayant été détaillées dans l’acte de navigation[1] et dans quel-

  1. L’origine des lois de navigation de l’Angleterre remonte au règne de Richard II, ou peut-être à une époque encore plus reculée. Mais comme il serait difficile de rendre compte de tous les changements et variations survenus dans un temps aussi éloigné, nous nous bornerons à constater que les deux principes essentiels des lois de navigation ont été posés d’une manière explicite sous le règne de Henri VII ; l’importation de certaines marchandises fut alors interdite, à moins qu’elles ne fussent portées par des navires anglais et n’ayant à bord que des marins anglais. Au commencement du règne d’Élisabeth (S. Élis., ch. v), les navires étrangers furent exclus des pêcheries et du commerce de cabotage. Le parlement républicain donna une grande extension aux lois de navigation par l’acte de 1650, qui interdit aux vaisseaux de toutes les nations étrangères de faire le commerce avec les colonies de l’Amérique, sans en avoir préalablement obtenu l’autorisation. Ces différents actes se rapportaient plutôt au commerce entre les différents ports et colonies de l’empire qu’aux relations commerciales et étrangères. Mais l’année suivante (9 oct. 1651), le parlement républicain publia le célèbre acte de navigation. Cet acte avait un double but ; il devait, d’un côté, donner de plus grands développements à notre navigation et frapper un coup décisif sur la puissance maritime des Hollandais, qui avaient alors le monopole du commerce de transport, et contre lesquels différentes circonstances avaient fait naître, en Angleterre, une grande aigreur. L’acte dont il est ici question établit, que ni produits ni marchandises provenant de l’Asie, de l’Afrique ou de l’Amérique ne pourraient être importés en Angleterre, en Irlande ou en aucune de leurs colonies, que sur des navires appartenant à des sujets anglais, commandés par des Anglais, et dont les équipages se composeraient en grande partie de marins anglais. Après avoir ainsi assuré aux armateurs anglais le commerce d’importation de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, cet acte leur garantit en outre, autant que cela était possible, le commerce d’importation de l’Europe. A cet effet, il fut expressément dit, que les produits provenant de n’importe quel pays de l’Europe ne pourraient être importés en Angleterre que sur des navires anglais, ou sur des vaisseaux qui seraient la propriété réelle de la nation et du pays d’où ces produits seraient exportés.

    Cette dernière mesure est entièrement dirigée contre les Hollandais, qui avaient très-peu de produits indigènes à exporter, et dont les navires étaient principalement employés à transporter les produits des autres pays aux marchés étrangers. Telles étaient les principales dispositions de ce fameux acte. Elles furent maintenues par le gouvernement royal qui suivit le protectorat de Cromwell, et forment la base de l’acte xii (Charles II, chap. xviii). Elles sont restées jusqu’aux temps modernes la loi d’après laquelle nos relations commerciales avec les pays étrangers ont été réglées, et qu’on a pompeusement appelée la Charte maritime de l’Angleterre.

    En supposant que tout ce qui a été dit par les apologistes de cet acte fût parfaitement vrai ; en admettant que l’acte de navigation, au moment où il fut conçu, était bien réellement le résultat d’une pensée politique profonde, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il dût être maintenu de notre temps. Les institutions humaines ne sont pas fondées pour l’éternité. Elles doivent toujours s’adapter aux circonstances ainsi qu’aux besoins de la société. Mais la situation de la Grande-Bretagne et des autres pays de l’Europe a complètement changé depuis 1650. La grandeur commerciale et les richesses tant enviées des Hollandais ont disparu ; nous n’avons plus rien à craindre de leur inimitié ; et ce serait un véritable anachronisme que de conserver aujourd’hui quelques-unes de ces haines ou préventions qui ont donné naissance à cette mesure. Londres est aujourd’hui ce que Tut autrefois Amsterdam, le grand entrepôt du monde commercial, universi orbit terrarum emporium. Et la véritable question est maintenant de savoir, non point quels sont les meilleurs moyens pour arriver à la grandeur maritime, mais quels sont les meilleurs moyens pour nous conserver la supériorité incontestée que nous avons déjà atteinte. La réponse à cette question ne présente pas de grandes difficultés. La navigation et la puissance maritime sont les effets, non les causes du commerce. Si ce dernier augmente, l’agrandissement de la puissance navale s’ensuivra naturellement. Plus le commerce entre les différents pays s’étend, plus l’augmentation des marins et des navires deviendra nécessaire.

    Il serait difficile, par conséquent, de mettre en doute la sagesse des modifications opérées dans les lois de navigation, en partie par les bills introduits par M. (aujourd’hui lord) Wallace en 1824, par M. Huskisson en 1825, et en partie par l’adoption du système dit de réciprocité. Sous le régime des lois existantes (6, George IV, chap. cix), une égalité parfaite règle les relations commerciales entre la Grande-Bretagne et celles des contrées de l’Europe qui se trouvent en bons rapports avec elle. Les souvenirs de nos anciennes haines et de notre jalousie de la prospérité de quelques-uns de nos voisins n’existent plus, et c’est une législation uniforme qui règle notre commerce avec le continent. Cette uniformité de législation, en ouvrant une plus grande carrière aux opérations mercantiles, et en donnant au commerce avec les plus riches de nos voisins une plus grande importance, éloigne beaucoup d’embarras et de difficultés, en même temps qu’elle diminue l’idée qu’on s’était faite, non sans quelque raison, sur le continent, que les principes essentiels de notre système de commerce étaient conçus dans des vues exclusives et égoïstes.

    Il résulte des observations précédentes, que les lois de navigation, à part le préjudice qu’elles causaient au commerce du pays, étaient en outre impuissantes à atteindre leur véritable but, c’est-à-dire à produire l’emploi d’un plus grand nombre de vaisseaux. Mais, en supposant même que, par rapport à ce dernier objet, elles aient eu un plein et entier succès, et qu’elles n’aient point eu de suites fâcheuses pour la prospérité de notre commerce extérieur, leur véritable utilité n’en serait pas pour cela démontrée.

    On a toujours regardé comme un axiome en fait de politique maritime que, pour avoir des forces navales puissantes, il faut absolument avoir une marine marchande considérable qui puisse fournir des matelots ; et A. Smith se prononce en faveur des lois de navigation, principalement en vue de l’accroissement qu’elles procureraient à la marine marchande du pays, accroissement qu’il regarde comme indispensable pour le développement de notre marine de guerre, et par conséquent pour la sécurité et la défense du pays. Mais il serait facile de démontrer que cette opinion ne repose sur aucun fondement solide. Mac Culloch.