Page:Sophocle, trad. Leconte de Lisle, 1877.djvu/368

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dans la destinée que Troia tout entière soit prise dans cette même année, et il consent qu’on le tue s’il est prouvé qu’il a menti. Sachant tout ceci, cède de bon gré. Ta part sera glorieuse, si, ayant été jugé le plus brave des Hellènes, tu vas aux mains qui te guériront, et si, après avoir renversé Troia qui a fait notre deuil, tu remportes une très-haute gloire.

PHILOKTÈTÈS.

Ô détestable vie, pourquoi me retiens-tu si longtemps au milieu des vivants et ne me laisses-tu pas aller vers Aidès ? Hélas ! que ferai-je ? Comment ne pas céder aux paroles de celui-ci qui me conseille avec un esprit bienveillant ? Céderai-je donc ? Mais, alors, malheureux, de quel front me montrerai-je à la lumière, si je le fais ? Avec qui parlerai-je ? Ô mes yeux, qui avez vu tout ce qui a été fait contre moi, comment supporterez-vous de me voir vivre avec les Atréides qui m’ont perdu et avec le très-exécrable fils de Laertès ? La douleur des maux passés me déchirera moins que celle des maux qu’il me faudra subir et que je prévois. En effet, ceux dont l’âme est mère de tous les crimes sont faits pour être mauvais toujours. Mais une chose m’étonne en toi : tu devrais ne jamais retourner à Troia et tu devrais m’en éloigner, puisqu’ils t’ont outragé en te dépouillant de la gloire de ton père. Pourquoi songes-tu donc à leur venir en aide, et m’y contrains-tu aussi ? Non, ô fils ! Mais ramène-moi plutôt dans ma demeure, et, restant toi-même dans Skyros, laisse périr les pervers. Ainsi tu agiras au mieux pour moi et pour ton père, et, en n’aidant point les mauvais, tu ne paraîtras point semblable à eux.