Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/16

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Remarquons qu’à l’origine la légende avait été plus adroite. Dans sa forme primitive il n’y avait pas de Déjanire et les poèmes homériques ne la connaissent pas. Ils donnent pour femme au fils d’Alcmène Mégara et ils ont soin de ne mentionner qu’une fois son nom[1], sans dire rien sur elle. Cela d’ailleurs se comprend aisément : dans lIliade comme dans lOdyssée Héraclès, héros dorien, est un étranger ; on fait assez souvent allusion à ses exploits, mais on ne les raconte pas.

C’est chez les lyriques que nous trouvons pour la première fois le nom de Déjanire. Elle est la fille d’Œnée, roi des Étoliens. On ne voit pas d’abord quel rapport pouvait exister entre ces gens-là et Héraclès. Mais puisque les Ύλλεῑς revendiquaient dans l’invasion dorienne la possession du Péloponnèse, au nom même d’Héraclès, sous prétexte qu’il en avait été dépouillé par Eurysthée, ne fallait-il pas qu’ils descendissent de lui en ligne directe ? On fit donc aller Héraclès à Pleuron, en Étolie ; il y épouse Déjanire. Leur premier fils s’appelle Ύλλος et le Retour des Héraclides fut ainsi justifié[2].

Sophocle ne dit pas d’où venait Héraclès quand il alla chez Œnée. Pindare dans un poème perdu[3] racontait qu’il sortait de l’Hadès, où il avait été chercher Cerbère : c’était son dernier Travail, le plus difficile. Il rencontre alors Méléagre, frère de Déjanire. Celui-ci lui explique comment Achélôos convoitait sa sœur. Héraclès, sans hésiter, débarrasse la jeune fille de son prétendant difforme et l’épouse.

Bien avant Pindare Archiloque avait parlé de Déjanire ; il l’avait dépeinte au moment même où le Centaure essayait de la violenter. En ce pressant péril elle avait assez de sang-froid, paraît-il, pour s’entretenir avec Héraclès du

  1. Odyssée, XI, 269.
  2. Cf. O. Müller, Dorier, I, 47 ; E. Curtius, Histoire grecque, trad. Bouché-Leclercq, I, p. 138.
  3. Cf. schol. Il. XXI, 194. Voir W. Christ, Pindari carmina, p. 432 A. Puech, Pindare IV, Isthmiques et Fragments, p. 240.