Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/169

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lorsqu’elle ne profite pas à celui qui la possède ! Je le savais et je l’ai oublié ! autrement je ne serais pas venu ici.

ŒDIPE.

Qu’y a-t-il ? En quel découragement tu nous arrives !

TIRÉSIAS.

Laisse-moi repartir ; car toi et moi nous porterons plus facilement le fardeau de nos peines, si tu veux m’en croire.

ŒDIPE.

Tu as tort de parler ainsi, et c’est manquer d’amour pour cette ville qui t’a nourri, que lui refuser l’explication de l’oracle.

TIRÉSIAS.

C’est que je vois que tu parles hors de propos ; je me tais donc, pour ne pas encourir le même reproche.

LE CHŒUR.

Au nom des dieux, ne nous dérobe pas ce que tu sais, tu nous vois tous à tes pieds, en suppliants.

TIRÉSIAS.

C’est que vous êtes tous dans le délire ; mais moi, non, jamais je ne révélerai mes misères, pour ne pas révéler les tiennes[1].

ŒDIPE.

Que dis-tu ? tu sais tout, et tu refuses de parler ! tu veux donc nous trahir, et ruiner Thèbes de fond en comble ?

TIRÉSIAS.

Je ne veux affliger ni toi, ni moi-même. Pourquoi m’interroger inutilement ? tu n’apprendras rien de moi.

ŒDIPE.

O le plus pervers des hommes (car enfin ta résistance irriterait un rocher), ne parleras-tu pas enfin ? tu resteras donc inflexible ou inexorable ?

  1. Dans les paroles de Tirésias, le mot κακά est à double sens ; il signifie d’un côté ses propres augures, ou la triste connaissance qu’il a du passé et de l’avenir, et de l’autre les crimes d’Œdipe, inconnus à lui-même.