Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/332

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me fâchoit le plus étoit que je n’avois pas entendu la fin des discours de mon ribaud, et que je ne sçavois s’il me faisoit cocu ou non : mais je n’en fus que trop assuré une autre fois, revenant des champs ; je le trouvai ici avec sa vilaine, comme il lui léchoit le mourveau : Dieu sçait quel crèvecœœur j’en eus ; j’arrêtai mon ruffien lorsqu’il s’en alloit, et lui dis : Par la morgoy, que viens-tu faire céans ? Que je ne t’y retrouve plus, autrement je te déchiquetterai plus menu que chair à pâté : je me doute que tu viens ici voir ma femme ; la penses-tu mieux contenter que moi ? Çà, çà, fais exhibition dessus cette assiette ; voyons qui est celui qui a été le mieux parti par la nature. En disant cela, je lui montrai ce qu’il lui falloit montrer ; mais il n’osa en faire autant, sçachant bien que le droit n’étoit pas de son côté. Il s’en alla tout honteux hors de céans ; néanmoins il y revint plusieurs fois depuis, non pas tant en cachette que je n’en eusse connoissance. Un jour, je le trouvai couché avec ma femme sur ce même lit que vous voyez ; je me contentai de lui dire des injures, et le laissai encore aller sain et sauf. Oh ! que j’en ai eu de regret, quand j’y ai songé ! Je lui devois jeter son chapeau par les fenêtres, ou lui déchirer ses souliers. Mais quoi, je n’étois pas à moi en cet accident.

Toutes ces choses-ci me fâchèrent de telle sorte, que je : jurai à cette putain que je me laisserois mourir assurément avant que l’année se passât, afin de me délivrer de tant d’angoisses ; elle en devint encore plus méchante, ne souhaitant rien autre chose que de me voir sortir d’ici les pieds devant. Toutes les fois que nous nous querellions, elle me disoit : Eh ! Robin, que n’accomplis-tu ton serment ? que ne meurs-tu, pauvre sot ! vois-tu pas bien que tu es inutile au monde ? Les vignes ne laisseront pas de fleurir pour ton absence ; tu ne seras qu’à en perdre les fruits. L’année étoit déjà écoulée, lorsqu’elle a commencé à me faire meilleure chère que de coutume, prenant résolution, comme il est à présumer, de voir sans dire mot si je serois si fol que de me désespérer pour elle ; je connus son intention, et, pour sçavoir quelle affection elle me portoit, et ce qu’elle pourroit faire et dire, si j’étois mort, je me délibérai de le contrefaire.

À cela m’a servi beaucoup un mien cousin, qui, cependant que j’étois à son logis hier au soir, vint dire céans à ma femme