Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/56

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monde, c’est que l’on ne veut point d’elle en enfer, et que les tyrans qui y règnent ont peur qu’elle ne soit la furie des furies mêmes. Apaisez-vous, dit le gentilhomme, vous ne recevez point de honte à l’avoir embrassée : ses yeux, qui luisent davantage que les ardens que l’on voit la nuit auprès des rivières, vous ont attiré dedans ce précipice. La chassie qu’ils jettent est si gluante, qu’elle peut servir d’excuse à votre désir, s’il s’y est arrêté.

Alors la vieille, tenant sa chandelle à la main, s’approcha du lit et dit à Francion : Si vous aviez considéré que je suis votre bonne amie Agathe, qui vous a toujours fait plaisir à Paris, vous ne me diriez pas tant d’injures. Ah ! c’est donc vous, répondit Francion en faisant l’étonné, je vous connois ; il n’y a pas un mois que je suis guéri du mal que vous me fîtes gagner chez Janeton. Quand cela seroit, dit Agathe, vous ne m’en devriez point imputer de faute ; aussi vrai que voilà la chandelle de Dieu, la petite effrontée m’avoit juré qu’elle étoit plus nette qu’une perle d’or riant. Vous voulez dire d’Orient, interrompit le gentilhomme. C’est mon[1], mais il n’importe comment je parle, répond Agathe, je m’entends bien.

Ce discours cessé, le gentilhomme pria Francion de dire quelle rêverie il avoit eue quand il s’étoit levé, pensant être auprès de Laurette. Il lui répondit qu’il vouloit passer tout le reste de la nuit à dormir, et que le lendemain il lui conteroit le plus plaisant songe qu’il eût jamais ouï.

Agathe éteignit donc la chandelle, s’en retourna dans son lit, et les laissa jusques au jour suivant, qu’ils se levèrent tous trois à pareille heure. Le gentilhomme, sçachant que Francion étoit venu dans une charrette, lui offrit une autre commodité, et lui conseilla de la renvoyer ; ce qu’il fit, priant le charretier de ne dire à personne où il l’avoit mené. Ayant fait déjeuner Agathe en leur compagnie, le gentilhomme lui demanda en secret d’où elle venoit et où elle alloit. Elle dit qu’elle venoit de Paris et qu’elle alloit voir Laurette, afin de gagner ses bonnes grâces pour un financier qui étoit infiniment amoureux d’elle. L’espoir du gain te fait

  1. Locution populaire. Dans c’est mon, il faut sousentendre avis, qu’on a retranché pour abréger ; mais il se dit d’ordinaire ironiquement. Dict. de Furetière.