Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/72

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d’argent à l’heure ; l’hôte jure qu’il en veut avoir et qu’il s’en va quérir les sergens pour le faire ajourner. Lorsqu’il s’en fut allé, Marsaut pria le gentilhomme anglois de l’assister en une nécessité si grande, et tira sans difficulté de lui la somme que l’on lui avoit demandée, lui promettant de la lui rendre. Il feignit qu’il s’en alloit rattraper le tavernier pour le contenter, et qu’en considération du plaisir qu’il venoit de recevoir il donneroit jusques à ma maison pour savoir tout à fait si mon cœur pouvoit être échauffé pour un autre que celui que j’aimois déjà.

À son retour, il fit accroire à l’Anglois qu’il m’avoit trouvée entiérement disposée à contracter avec lui une parfaite amitié, et que je ne demandois pas mieux que de jouir de sa communication. La-dessus, il lui dit qu’il seroit fort à propos qu’il me fit quelque présent, comme d’un poinçon de diamant pour mettre dans les cheveux, parce qu’il avoit remarqué que je n’en avois point, et que je tenois un peu d’une humeur avaricieuse, qui me donnoit de l’inclination à chérir ceux qui me faisoient des largesses. Ce passionné étranger alla aussitôt acheter ce que Marsaut lui avoit dit, et le lui mit entre les mains pour me l’apporter, sur la promesse qu’il lui fit qu’il verroit que j’en parerois ma tête lorsqu’il le feroit parler à moi. En attendant, il voulut la nuit me donner une sérénade, parce qu’il sçavoit racler trois ou quatre accords sur le luth, et s’en vint chanter au bas de ma fenêtre ce bel air nouveau qu’il avoit appris : Moi foudrois bien guérir du mal que moi sens, Mais moi ne puis pas ; Car li belle qui tient li cœur de moi Est toute pleine de rigoureusement. Je pensai crever de rire d’entendre de si beaux vers, et, ayant sçu le lendemain l’heure qu’il me devoit venir voir, je me mis sur notre porte, où il m’accosta courtoisement avec Marsaut. Il n’entendoit pas encore bien le françois, aussi ne faisois-je pas son langage corrompu ; de manière que notre entretien fut un coq-à-l’âne perpétuel. Quand il m’offroit son affection, je pensois qu’il me reprochât le présent bien plus riche qu’il m’avoit déjà fait, et néanmoins je n’étois pas prête à le lui rendre. Si je louois son mérite, il me répondoit que, s’il eût pu trouver un plus beau diamant que celui qu’il m’avoit envoyé, c’eût été pour moi.

Nous avions bon besoin que Marsaut nous servit de truche-