Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/102

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La démocratie de Montesquieu semble bien éloignée de notre civilisation moderne. Elle y prend, quand on se l’y représente, je ne sais quel air de paradoxe et d’utopie. Le fait est que Montesquieu, cherchant autour de lui quelque exemplaire survivant de ces sociétés disparues, ne découvre rien d’analogue que dans les couvents de moines ou dans le Paraguay. Rien de plus contraire, en effet, aux conceptions modernes de la patrie, de la religion, du travail ; aux idées de transformation incessante des institutions, des croyances, des fortunes, des mœurs mêmes ; rien de plus opposé à la doctrine du progrès et à la Déclaration des droits de l’homme que l’esprit de ces républiques anciennes, avec leur hiérarchie, leurs esclaves et leur despotisme d’État. Montesquieu ne prévoyait point l’avènement rapide et le développement prodigieux de la démocratie moderne. Encore moins croyait-il à l’organisation de républiques démocratiques dans de vastes pays. « On ne peut, disait-il, à propos des institutions des Grecs, se promettre cela dans la confusion, dans les négligences, dans l’étendue des affaires d’un grand peuple. » « Les politiques grecs, qui vivaient dans le gouvernement populaire, ne reconnaissaient d’autre force qui pût les soutenir que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de richesses, de luxe même. »

Montesquieu ne soupçonnait point que ces manufactures, ce commerce, ces richesses, ce luxe même qu’il