Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/148

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voulaient le Journal de Trévoux et les Nouvelles ecclésiastiques. Ils en conclurent que l'Esprit des lois « donnait gain de cause aux anciens et aux nouveaux persécuteurs de la religion chrétienne ». Le janséniste termina par une bonne dénonciation et par un appel au bras séculier contre un livre « qui apprend aux hommes à regarder la vertu comme un mobile inutile dans les monarchies ».

Montesquieu était sensible à ce genre d’insinuations. Il publia une Défense de l’Esprit des lois, qui parut au mois d’avril 1750. Le morceau est brillant et d’une belle ironie. Montesquieu rétablit sa pensée dénaturée par des citations fragmentaires. Il triomphe sur la plupart des critiques de détail ; mais il n’a point raison des critiques de fond. Il lui aurait fallu, pour établir son orthodoxie et faire sa soumission, désavouer le principe même de l'Esprit des lois et brûler la moitié de l’ouvrage. Il ne s’y résigna point, et finit par où il aurait dû commencer : le dédain. « Ce n’est rien, écrivait-il à un ami, de condamner le livre, il faut le détruire. » La Sorbonne n’était pas de taille. Elle se saisit de l’affaire ; mais les docteurs ne purent s’accorder sur les principaux chefs d’accusation. On dénonça l’ouvrage à l’assemblée du clergé ; elle n’écouta qu’avec distraction les dénonciateurs. La congrégation du Sacré Collège mit le livre à l'index : on en parla peu, et personne n’y fit attention. Malesherbes, entre temps, avait pris la direction de la librairie et levé l’interdit qui arrêtait l'Esprit des lois à la frontière. Ce chef-d’œuvre du