Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/159

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précisément les « cahiers de Montesquieu » aux États généraux : on y reconnaît sa prédilection pour la liberté monarchique, sa conviction que cette liberté ne pouvait être fondée en France que sur les prérogatives des corps privilégiés. Le tiers état lui emprunta le système de la séparation des pouvoirs et mainte réforme particulière ; mais il réclama l’égalité et la liberté civiles comme fondements de la liberté politique, et toute la doctrine de Montesquieu sur le gouvernement de la France en fut anéantie.

La Révolution fit prévaloir les principes du tiers état. Après la nuit du 4 août, la monarchie de Montesquieu n’était plus qu’une utopie d’émigré. « Abolissez dans une monarchie les prérogatives des seigneurs, du clergé, de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un État populaire ou bien un État despotique. » L’Esprit des lois avait posé ce dilemme qui devint le problème périodique du gouvernement français. Des citoyens, qui tenaient à la monarchie et n’entendaient point sacrifier la liberté, cherchèrent une transaction, et la trouvèrent dans l’Esprit des lois. Ils proposèrent l’exemple de l’Angleterre. C’est la seconde lignée de Montesquieu dans la Révolution.

Les grands esprits ont leurs familles, et il en va dans leur descendance comme dans les dynasties : ce ne sont point toujours les aînés qui font la plus belle fortune et qui assurent la gloire de la maison. Il y a des cadets qui font souche à leur tour et dont le château efface celui des aînés ; il y a des frères, sans héritage, qui s’en vont aux colonies, y découvrent