Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/180

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semblant de raison qu’ils n’ont jamais eu ; il ne compte qu’avec les événements qui ont produit leurs effets ; il abandonne tous ceux qui ont avorté en chemin ; des mille façons dont l’événement aurait pu se dérouler, il en choisit une seule, celle qui a abouti ; il supprime l’imprévu ; il méconnaît « le vrai de l’intrigue et de la mascarade humaine » ; il prétend découvrir les grandes routes, il ne fait passer les siennes, ses grandes routes royales, « que par l’endroit de la note illustre ». En dehors de la Providence, qui ne dit point son secret, il n’y a, selon l’auteur et Port-Royal, dans cette cohue du monde que la force, que l’habileté, que la fortune. Pascal avait vu la Fronde, médité sur la révolution d’Angleterre, et cherché le fond des choses ; il n’a vu partout que le jeu du hasard : le nez de Cléopâtre, le grain de sable de Cromwell. Il faut en venir là, et ce grand penseur y est venu. Voilà pour les hommes qui prétendent mener les autres ; quant à ceux que l'on croit mener, ces masses obscures opèrent les grandes œuvres, mais elles n’en savent rien. Les grandes révolutions et les grandes victoires sont l’ouvrage d’acteurs inconscients : tout s’y réduit aux mouvements d’aveugles inconnus qui s’agitent dans l’ombre.

Telles sont les objections. Le mystique et l’épicurien, l’autoritaire et le sceptique, Pascal et Montaigne, Hobbes et La Rochefoucauld s’y rencontrent et, sans s’accorder le moins du monde, y font cause commune. Frédéric enseignait volontiers ce pyrrhonisme ; il avait ses motifs pour se rallier, de la