Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/24

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à cet être dont nous avons une si belle idée, et qui, s’il existait, serait incessamment juste. Libres que nous serions du joug de la religion, nous ne devrions pas l’être de celui de l'équité. » « Quand l’immortalité de l’âme serait une erreur, je serais fâché de ne pas la croire : j’avoue que je ne suis pas si humble que les athées. Je ne sais comment ils pensent ; mais pour moi je ne veux pas troquer l’idée de mon immortalité contre celle de la béatitude d’un jour. Je suis charmé de me croire immortel comme Dieu même. Indépendamment des idées révélées, les idées métaphysiques me donnent une très forte espérance de mon bonheur éternel, à laquelle je ne voudrais pas renoncer. »

Il conclut presque, en pratique, au pari de Pascal, non par angoisse du cœur et désespoir de la raison, mais par sagesse, par dédain des hypothèses d’école et des systèmes arbitraires, par conscience de législateur surtout, par bon sens de citoyen, par sentiment des nécessités sociales, par estime du genre humain. Son penchant naturel l’entraînait vers les anciens, vers Marc-Aurèle et les Antonins, qu’il appelle « le plus grand objet de la nature ». « Nés pour la société, ils croyaient que leur destin était de travailler pour elle. » On retrouve dans tous ses ouvrages cet esprit de stoïcisme, amendé par l’urbanité française et imprégné d’humanité moderne. Je ne dis point charité. Montesquieu, qui ne parvint jamais à l’intelligence complète du rôle du christianisme dans la civilisation, paraît être resté im-