Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/35

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ne pouvait prévaloir sur cette morale tirée par Louis XIV de la mythologie. Le roi vieilli, converti et dévot n'y trouva de remède que dans la pénitence ; s'il l’observa lui-même, il ne parvint à imposer à ses sujets que l'hypocrisie. Le dérèglement prit le masque ou garda le huis clos.

La Régence l'affranchit de tout frein. On vit la forfanterie du vice succéder à l’étalage de la dévotion, les émules de don Juan occuper, sur le devant de la scène, la place qu’y occupait récemment ceux de Tartuffe. Tout est mis en question, discuté, ébranlé. La constitution Unigenitus passionne tous les croyants ; les querelles intestines de l’Église livrent la brèche aux esprits forts. Dubois introduit la débauche dans la politique ; Law l’introduit dans l’économie sociale. Il n’y avait de tripots que pour les gens de qualité ; il y en eut un désormais pour tout le peuple. Et cependant nul ne se doutait que ce débordement des idées et des passions bouleversait le vieux sol de la France. Le nouveau règne inspirait des espérances sans limites ; toutes les témérités devenaient possibles par la raison qu’aucun ne semblait redoutable.

Ainsi pensait Montesquieu, emporté par ces mouvements du siècle. Gentilhomme et parlementaire, narquois, frondeur, avec cela généreux, ardent aux réformes et confiant aux illusions, avide de gloire, désireux de plaire, rêvant d’éclairer son pays et de briller dans le beau monde, pris, en un mot, « de cette maladie de faire des livres », qui est sa voca-