Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/72

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masque de la liberté ; la notion même de la liberté se sophistique et se fausse. Les principes qui avaient fait la force de Rome se corrompent par leur propre excès. Les Romains ont trop combattu et trop conquis. « Sans cesse dans l'action, l’effort et la violence, ils s’usaient comme une arme dont on se sert toujours. » Les agitations civiles, qui entretenaient l’esprit public, ont dégénéré en factions, qui l’ont perverti. Les richesses ont gâté les mœurs privées. La tyrannie s’élève sur cet abaissement des âmes ; la servitude achève de les écraser. Rome, qui s’atrophie au centre, se paralyse aux extrémités. Elle s’est étendue trop loin. Les peuples vaincus se révoltent contre les armées dispersées aux frontières, et les armées, en se concentrant, refluent sur l’État qu’elles envahissent. Elles cessent d’être citoyennes au moment où elles s’emparent du gouvernement de la cité. Le ressort de la guerre se détend par l’action même de la guerre. Rome s’était fortifiée en assimilant à son empire les peuples conquis ; elle se dissout dans ses conquêtes. Elle essaye de se replier sur soi-même : ce poids de l’univers dont elle accablait ses ennemis, l’écrase à son tour. On voit l’empire se rétrécissant sans cesse, et l’Italie redevenue frontière.

Montesquieu, qui n’avait point discerné le rôle que la religion primitive joua dans les commencements de Rome, ne fait point, dans la dernière partie de son ouvrage, une part suffisante à l’action du christianisme. Il est tout à l’admiration des Antonins : la