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qu’il s’en tint aux premiers livres, il demeura toute joie et toute ardeur, « Mon grand ouvrage avance à pas de géant », écrivait-il en 1744 à l’abbé de Guasco. C’était encore le temps où « tout ce qu’il cherchait venait à lui ». Mais, peu à peu, les faits s’entassèrent aux issues et les encombrèrent. Il les presse. « Tout se plie à mes principes », écrit-il vers la fin ; mais il ne voit plus, comme naguère, « les cas particuliers s’y plier comme d’eux-mêmes ». Il fait effort, il sollicite les textes, il juxtapose, il accumule, il ne cimente plus. Il s’acharne, il se fatigue. « Ma vie avance et l’ouvrage recule à cause de son immensité », écrit-il en 1745 ; et en 1747 : « Mon travail s’appesantit… » « Je suis accablé de lassitude. » Les derniers livres, les féodaux, l’épuisent : « Cela formera trois heures de lecture ; mais je vous assure que cela m’a coûté tant de travail, que mes cheveux en sont blanchis. » « Cet ouvrage a pensé me tuer, conclut-il après avoir revu les dernières épreuves ; je vais me reposer ; je ne travaillerai plus. »

Cette fatigue le préoccupait surtout pour la perfection de son œuvre. Il avait écrit, pour la placer au début du second volume et avant le livre XX, une invocation aux Muses, où ce sentiment se traduit en quelques-unes de ces phrases exquises, tout antiques de forme et toutes fraîches de pensée, qui donnent un avant-goût de la prose d’André Chénier ; « Vierges du mont Piérie, entendez-vous le nom que je vous donne ? Inspirez-moi. Je cours une longue