Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/95

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discret à sa pensée, en est plus fréquemment la draperie d’apparat. C’est la draperie à la mode. Montesquieu en revêt naturellement ses idées, par une disposition d’esprit qu’il partage avec ses contemporains et par un secret penchant à flatter leurs caprices. Il a son vocabulaire et sa rhétorique. On doit, pour le bien lire, se familiariser avec ses mots et avec ses figures de langage. Pour les mots, la tâche est aisée : il est excellent écrivain, et il ne les emploie qu’à bon escient ; une fois que l’on possède son usage, on sait toujours ce qu’il veut dire. Le jeu des figures est plus incertain : il faut quelquefois transposer, ramener à l’unité, deviner l’allusion, traduire en noms propres les belles propositions générales ; mais il ne faut le faire qu’avec infiniment de prudence.

Ce serait s’exposer à de fâcheuses méprises, diminuer Montesquieu et s’abuser sur son dessein, que d’appliquer à l’ensemble de son ouvrage un système d’interprétation, qui n’a sa raison d’être que dans quelques cas limités et très particuliers. Montesquieu est un génie généralisateur : c’est sa grandeur et sa faiblesse. Prenons-le pour ce qu’il se donne. Lisons le livre comme il est écrit, sans commentaire, presque sans notes. Ce n’est pas sans motif que Montesquieu, qui en avait rassemblé tant, en a publié si peu. Si, dans plusieurs passages, il a voulu que le lecteur se dît : Voilà l’Angleterre ou voilà Versailles ; il a entendu aussi que l’on pensât, aux mêmes passages : Voilà ce qui adviendra partout où, dans ces condi-