Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/118

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qu’il leur est impossible d’empêcher le double mouvement de dégénérescence qui entraîne bourgeoisie et prolétariat loin des routes que la théorie de Marx leur avait assignées. Sans doute ils peuvent agir sur les classes ouvrières, et on ne conteste guère que les violences des grèves ne soient de nature à entretenir l’esprit révolutionnaire ; mais comment peuvent-ils espérer rendre à la bourgeoisie une ardeur qui s’éteint ?

C’est ici que le rôle de la violence nous apparaît comme singulièrement grand dans l’histoire ; car elle peut opérer, d’une manière indirecte, sur les bourgeois, pour les rappeler au sentiment de leur classe. Bien des fois on a signalé le danger de certaines violences qui avaient compromis d’« admirables œuvres sociales », écœuré les patrons disposés à faire le bonheur de leurs ouvriers et développé l’égoïsme là où régnaient autrefois les plus nobles sentiments. Opposer la « noire ingratitude » à la « bienveillance » de ceux qui veulent protéger les travailleurs[1], opposer l’injure aux homélies des défenseurs de la fraternité humaine et répondre par des coups aux avances des propagateurs de paix sociale, cela n’est pas assurément conforme aux règles du socialisme mondain de Monsieur et de Madame Georges Renard[2], mais c’est un procédé très

  1. Cf. G. Sorel, Insegnamenti sociali, p. 53.
  2. Madame G. Renard a publié dans la Suisse du 26 juillet 1900 un article plein de hautes considérations sociologiques sur une fête ouvrière donnée par Millerand (Léon de Seilhac, Le monde socialiste, pp. 307-309). Son mari a résolu la grave question de savoir qui boira le Clos-Vougeot dans la société future (G. Renard, Le régime socialiste, p. 175).