Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/143

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n’étaient pas là des paroles en l’air d’un homme de lettres : Drumont avait été renseigné sur la commune et le monde socialiste par Malon, dont il fait un portrait très enthousiaste dans son livre.

Cette sinistre prédiction était fondée sur l’idée que l’ouvrier s’éloigne de plus en plus de la tradition nationale et qu’il se rapproche du bourgeois, beaucoup plus accessible que lui aux mauvais sentiments. « Ce fut l’élément bourgeois, dit Drumont, qui fut surtout féroce dans la Commune ;… l’élément peuple, au milieu de cette crise effroyable, resta humain, c’est-à-dire français… Parmi les internationalistes qui firent partie de la commune, quatre seulement se prononcèrent pour des mesures violentes[1]. » On voit que Drumont en est encore à cette naïve philosophie du xviiie siècle et des utopistes antérieurs à 1848, d’après laquelle les hommes suivent d’autant mieux les injonctions de la loi morale qu’ils ont été moins gâtés par la civilisation ; en descendant des classes supérieures aux classes pauvres, on trouve plus de bonnes qualités ; le bien n’est naturel qu’aux individus qui sont demeurés rapprochés de l’état de nature.

Cette philosophie des classes conduit Drumont à une théorie historique assez curieuse : aucune de nos révolutions ne fut aussi sanglante que la première, parce qu’elle fut « conduite par la bourgeoisie » ; — à mesure que le peuple s’est plus intimement mêlé aux révolutions, elles sont devenues moins « féroces » ; — « le prolétariat,

  1. Drumont, op. cit., p. 128.