Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/15

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sant de noter sur mes cahiers que ce que je n’ai pas rencontré ailleurs ; je saute volontiers par-dessus les transitions parce qu’elles rentrent presque toujours dans la catégorie des lieux communs.

La communication de la pensée est toujours fort difficile pour celui qui a de fortes préoccupations métaphysiques : il croit que le discours gâterait les parties les plus profondes de sa pensée, celles qui sont très près du moteur, celles qui lui paraissent d’autant plus naturelles qu’il ne cherche jamais à les exprimer. Le lecteur a beaucoup de peine à saisir la pensée de l’inventeur, parce qu’il ne peut y parvenir qu’en retrouvant la voie parcourue par celui-ci. La communication verbale est beaucoup plus facile que la communication écrite, parce que la parole agit sur les sentiments d’une manière mystérieuse et établit facilement une union sympathique entre les personnes ; c’est ainsi qu’un orateur peut convaincre par des arguments qui semblent d’une intelligence difficile à celui qui lit plus tard son discours. Vous savez combien il est utile d’avoir entendu Bergson pour bien connaître les tendances de sa doctrine et bien comprendre ses livres ; quand on a l’habitude de suivre ses cours, on se familiarise avec l’ordre de ses pensées et on se retrouve plus facilement au milieu des nouveautés de sa philosophie.

Les défauts de ma manière me condamnent à ne jamais avoir accès auprès du grand public ; mais j’estime qu’il faut savoir nous contenter de la place que la nature et les circonstances ont attribuée à chacun de nous, sans vouloir forcer notre talent. Il y a une division nécessaire de fonctions dans le monde : il est bon que quelques-