Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/19

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l’Université enseigne encore aujourd’hui, étaient optimistes parce qu’ils avaient à combattre le pessimisme qui dominait les théories protestantes, et parce qu’ils vulgarisaient les idées de la Renaissance ; celle-ci interprétait l’antiquité au moyen des philosophes ; et elle s’est trouvée ainsi amenée à si mal comprendre les chefs-d’œuvre de l’art tragique que nos contemporains ont eu beaucoup de peine pour en retrouver la signification pessimiste[1].

Au commencement du XIXe siècle il y eut un concert de gémissements qui a fort contribué à rendre le pessimisme odieux. Des poètes, qui vraiment n’étaient pas toujours fort à plaindre, se prétendirent victimes de la méchanceté humaine, de la fatalité ou encore de la stupidité d’un monde qui ne parvenait pas à les distraire ; ils se donnaient volontiers les allures de Prométhées appelés à détrôner des dieux jaloux ; aussi orgueilleux que le farouche Nemrod de Victor Hugo, dont les flèches

  1. « La tristesse, qui est répandue comme un pressentiment sur tous les chefs-d’œuvre de l’art grec, en dépit de la vie dont ils semblent déborder [témoigne] que les individus de génie, même dans cette période, étaient en état de pénétrer les illusions de la vie, auxquelles le génie de leur temps s’abandonnait sans éprouver le besoin de les contrôler. » (Hartmann, Philosophie de l’Inconscient, trad. franç., tome II. p. 436.) J’appelle l’attention sur cette conception qui voit dans le génie des grands Hellènes une anticipation historique ; il y a peu de doctrines plus importantes pour l’intelligence de l’histoire que celle des anticipations, dont Newman a fait usage dans ses recherches sur l’histoire des dogmes.