Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/24

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mes néfastes la responsabilité des maux dont souffre la société ; le pessimiste n’a point les folies sanguinaires de l’optimiste affolé par les résistances imprévues que rencontrent ses projets ; il ne songe point à faire le bonheur des générations futures en égorgeant les égoïstes actuels.

3. Ce qu’il y a de plus profond dans le pessimisme, c’est la manière de concevoir la marche vers la délivrance. L’homme n’irait pas loin dans l’examen, soit des lois de sa misère, soit de la fatalité, qui choquent tellement la naïveté de notre orgueil, s’il n’avait l’espérance de venir à bout de ces tyrannies par un effort qu’il tentera avec tout un groupe de compagnons. Les chrétiens n’eussent pas tant raisonné sur le péché originel s’ils n’avaient senti la nécessité de justifier la délivrance (qui devait résulter de la mort de Jésus), en supposant que ce sacrifice avait été rendu nécessaire par un crime effroyable imputable à l’humanité. Si les occidentaux furent beaucoup plus occupés du péché originel que les orientaux, cela ne tient pas seulement, comme le pensait Taine, à l’influence du droit romain[1], mais aussi à ce que les Latins, ayant de la majesté impériale un sentiment plus élevé que les Grecs, regardaient le sacrifice du fils de Dieu comme ayant réalisé une délivrance extraordinairement merveilleuse ; de là découlait la nécessité d’approfondir les mystères de la misère humaine et de la destinée.

Il me semble que l’optimisme des philosophes grecs dépend en grande partie de raisons économiques ; il a

  1. Taine. Le Régime moderne, tome II, pp. 121-122.