Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/332

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succès qu’obtinrent assez longtemps les écrivains anarchistes : ceux-ci fondaient leurs espérances de renouvellement du monde sur un progrès intellectuel des individus ; ils ne cessaient d’engager les ouvriers à s’instruire, à prendre une plus claire conscience de leur dignité d’hommes et à se montrer dévoués pour leurs camarades. Cette attitude leur était imposée par leur principe : comment, en effet, pourrait-on concevoir la formation d’une société d’hommes libres, si on ne supposait que les individus actuels n’eussent déjà acquis la capacité de se conduire eux-mêmes ? Les politiciens assurent que c’est là une pensée tout à fait naïve et que le monde jouira de tous les bonheurs qu’il pourra désirer, le jour où les bons apôtres pourront profiter de tous les avantages que procure le pouvoir ; rien ne sera impossible pour un État qui transformera en princes les rédacteurs de l’Humanité. Si à ce moment, on juge utile d’avoir des hommes libres, on fera quelques bons décrets pour en fabriquer ; mais il est douteux que les amis et commanditaires de Jaurès trouvent cela nécessaire ; il leur suffira d’avoir des domestiques et des contribuables.

La nouvelle école s’est rapidement distinguée du socialisme officiel en reconnaissant la nécessité de perfectionner les mœurs[1], aussi est-il de mode parmi les

    amis de Waldeck-Rousseau, opposés, comme lui, à létranglement des congrégations.

  1. Cest ce que Benedetto Croce a signalé dans la Critica, juillet 1907, pp. 317-319. — Cet. écrivain est fort connu en Italie pour sa remarquable sagacité de critique et de philosophe.