Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/343

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à ne plus avoir de morale[1]. La liquidation de l’affaire Dreyfus, dont les dreyfusards ont su tirer un si bon parti, à la grande indignation du colonel Picquart[2], a montré que le sublime bourgeois est une valeur de bourse. Dans cette affaire se manifestèrent toutes les tares intellectuelles et morales d’une classe atteinte de folie.


III


Avant d’examiner quelles sont les qualités que l’économie moderne requiert des producteurs libres, nous devons analyser les parties dont se compose la morale. Les philosophes ont toujours quelque peine à voir clair dans ces problèmes éthiques, parce qu’ils constatent l’impossibilité de ramener à l’unité les idées qui ont cours simultanément dans une classe, et qu’ils s’ima-

  1. J’appelle l’attention sur l’extraordinaire prudence que montre Ribot dans sa Psychologie des sentiments, à propos de révolution de la morale ; il semble, d’après les analogies avec d’autres sentiments, qu’il aurait dû conclure à une évolution vers un état purement intellectuel et à la disparition de son efficacité ; mais il n’a pas osé conclure pour la morale comme pour la religion.
  2. Je fais allusion à un article publié dans la Gazette de Lausanne, au commencement de l’année 1906 et dont la Libre Parole du 2 avril donne un assez long extrait. Quelques mois après que j’écrivais ces lignes, Picquart était lui-même l’objet de faveurs exceptionnelles ; il avait été vaincu par les fatalités de la vie parisienne, qui ont terrassé des hommes plus forts que lui.