Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/345

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C’est surtout aux héros homériques qu’il faut penser pour comprendre ce que Nietzsche a voulu expliquer à ses contemporains. On doit se rappeler qu’il avait été professeur de grec à l’université de Bâle et qu’il a commencé sa réputation avec un livre consacré à glorifier le génie hellénique (L’origine de la tragédie). Il observe que, même à l’époque de leur plus haute culture, les grecs avaient conservé conscience de leur tempérament aristocratique. « Notre audace, disait Périclès, s’est frayée un passage par terre et par mer, s’élevant partout d’impérissables monuments en bien et en mal. » Aux héros de la légende et de l’histoire hellénique s’applique ce qu’il admire dans « cette audace des races nobles, audace folle, absurde, spontanée ;… leur indifférence et leur mépris pour toutes les sécurités du corps, pour la vie, le bien-être. » — N’est-ce point particulièrement à propos de l’Achille de l’Iliade que l’on peut parler de « la gaieté terrible et de la joie profonde que goûtent [les héros] à toute destruction, à toutes les voluptés de la victoire et de la cruauté »[1] ?

C’est bien au type de la Grèce classique que Nietzsche fait allusion quand il écrit : « Les jugements de valeurs de l’aristocratie guerrière sont fondés sur une puissante constitution corporelle, une santé florissante, sans oublier ce qui est nécessaire à l’entretien de cette vigueur débordante : la guerre, l’aventure, la chasse, la danse, les jeux et exercices physiques et en général tout ce

  1. Nietzsche, Généalogie de la morale, trad. franç., pp. 57-59.