Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/370

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incombe à Napoléon dans cette dégénérescence du véritable esprit guerrier. Il était étranger à ce grand enthousiasme qui avait fait accomplir tant de merveilles aux hommes de 1794 ; il croyait qu’il lui appartenait de mesurer toutes les capacités et d’attribuer à chacun une récompense exactement proportionnée à ce qu’il avait accompli ; c’était déjà le principe saint-simonien qui entrait en pratique[1] et tout officier était incité à se faire valoir. Le charlatanisme épuisa les forces morales de la nation alors que les forces matérielles étaient encore très considérables ; Napoléon forma très peu d’officiers généraux distingués et fit surtout la guerre avec ceux que la révolution lui avait légués ; cette impuissance constitue la plus absolue condamnation du système[2].

On a souvent signalé la pauvreté des renseignements que nous possédons sur les grands artistes gothiques. Parmi les tailleurs de pierre qui sculptaient les images des cathédrales, il y avait des hommes d’un talent

  1. Le charlatanisme des saints-simoniens fut aussi dégoûtant que celui de Murat : d’ailleurs l’histoire de cette école est inintelligible quand on ne la rapproche pas des modèles napoléoniens.
  2. Le général Donop insiste beaucoup sur l’insuffisance des lieutenants de Napoléon, qui obéissaient passivement à des ordres qu’ils ne cherchaient pas à comprendre et dont le maître surveillait minutieusement l’exécution (op. cit., pp. 28-29 et pp. 32-34). Dans une telle armée, tous les mérites étaient théoriquement égalisés et comportaient des mesures ; mais pratiquement les erreurs de mesure étaient innombrables.